Ce serait bien peu connaître une personne que de savoir tout court qu'elle porte une robe de telle indienne ; on ne connaît pas davantage la fleur quand on sait qu'elle est revêtue d'un calice et d'une corolle. Qu'y-a-t-il sous ces vêtements ?

Examinons ensemble une fleur de Lis. Elle n'a pas de calice, mais elle possède une superbe corolle formée de six pétales gracieusement courbés en dehors et plus blancs que l'ivoire. J'enlève ces six pétales. Ce qui reste maintenant est l'essentiel, c'est-à-dire la chose sans laquelle la fleur ne remplirait pas son rôle de fleur, enfin ne donnerait pas de fruits. Passons avec soin la revue de ce reste. Cela en vaut la peine, vous allez voir.

Il y a d'abord six petites baguettes blanches, surmontées chacune d'un petit sachet plein d'une poudre jaune. Ces six pièces se nomment étamines. On en trouve dans toutes les fleurs, tantôt plus, tantôt moins ; pour sa part, le Lis en a six.

Le sachet qui surmonte l'étamine se nomme anthère. La poussière contenue dans l'anthère se nomme pollen. C'est elle qui nous barbouille le nez de jaune quand nous flairons un Lis.

J'enlève les six étamines. Il reste un corps central, renflé en bas, rétréci dans le haut en un long filament et surmonté d'une espèce de tête humectée d'une humeur visqueuse. En son ensemble, ce corps central prend le nom de pistil ; son renflement d'en bas s'appelle ovaire, le filament qui le surmonte prend le nom de style, et la tête visqueuse qui termine ce filament se nomme stigmate.

CLAIRE. — Voilà bien des noms pour de petites choses !

AURORE. — Petites, oui ; mais d'une importance qui n'a pas sa pareille. Ces petites choses, ma chère fille, nous font la nourriture de chaque jour ; sans le miraculeux travail de ces petites choses, le monde périrait.

Avec le canif, je coupe l'ovaire en travers. Dans trois compartiments rangés en rond se voient de petits grains disposé sur deux files : ce sont les futures graines de la plante. L'ovaire est donc la partie de la fleur où se forment les semences. A un certain moment, la fleur se flétrit ; las pétales se fanent et tombent ; le calice en fait autant, ou quelquefois reste pour continuer son rôle protecteur ; les étamines desséchées se détachent ; seul l'ovaire reste, grossissant, mûrissant et devenant enfin le fruit.

Tout fruit, poire, pomme, abricot, pêche, noix, cerise, melon, raisin, amande, châtaigne, a débuté par être un petit renflement du pistil ; toutes ces excellentes choses que la plante nous fournit pour nourriture ont été d'abord des ovaires.

AUGUSTINE. — La poire a commencé par être l'ovaire de la fleur du poirier ?

AURORE. — Oui, mon enfant : la poire, la pomme, la cerise, l'abricot, sont en débutant le tout petit ovaire de leurs fleurs respectives. Je vais vous montrer l'abricot dans sa fleur.

Aurore prit une fleur d'abricotier, l'ouvrit avec le canif et montra à son auditoire ce que reproduit la figure.

— Au centre de la fleur, vous voyez le pistil, qu'entourent de nombreuses étamines. La tête qui le termine en haut est le stigmate ; le renflement qui le termine en bas est l'ovaire, c'est-à-dire l'abricot futur.

AUGUSTINE. — Cette petite chose verte aurait fait un abricot, plein de jus sucré, comme je les aime tant ?

AURORE. — Cette petite chose verte aurait fait un abricot, comme les aime tant Augustine. Une pareille petite chose verte aurait fait la grosse poire fondante, la pomme parfumée, l'énorme citrouille. Voulez-vous voir maintenant l'ovaire qui nous fait le pain ?

MARIE. — Oh ! Oui. Toutes ces choses sont très-cu-rieuses.

AURORE. — Mieux que cela, très-importantes.

Aurore prit une aiguille, puis, avec la délicate patience que réclame cette opération, elle isola une des nombreuses fleurs dont l'ensemble forme l'épi du froment. La délicate fleurette étalait nettement, sur la pointe de l'aiguille, les diverses parties qui la composent.

La plante bénie qui nous donne le pain a des fleurs modestes. Deux pauvres écailles lui servent de calice et de corolle. Aisément vous reconnaissez trois étamines pendantes, avec leur anthère à double sachet plein de pollen. Le corps principal de la fleur est l'ovaire ventru qui, devenu mûr, serait un grain de blé. Il est surmonté du stigmate, façonné en double plumet d'une exquise élégance. Telle est la petite et modeste fleur qui nous fait vivre tous.

source : Jean-Henri Fabre, Aurore, 1874