De nouvelles bouches volcaniques peuvent même s'élever du fond de la mer et ouvrir leur cratère au-dessus des flots. — Le 10 juillet 1831, un navigateur, passant au large à une douzaine de lieues des côtes méridionales de la Sicile, vit la mer bouillonner et rouler une multitude de poissons morts. Puis une colonne d'eau de 800 mètres de circuit s'était brusquement élancée à une vingtaine de mètres de haut pour s'écrouler aussitôt ; et cela à diverses reprises, pendant qu'il s'en échappait une gerbe de vapeurs épaisses, qui montait au moins à 500 mètres et obscurcissait tout le ciel.

Que se passait-il donc au fond des eaux ? Etait-ce quelque troupeau de monstrueuses baleines qui remontaient à la surface, et, dans leurs mouvements, suscitaient une tempête sur les flots ? — Non : c'était un volcan nouveau qui se faisait jour à travers la mer profonde, en exhaussant peu à peu dans l'abîme son cône embrasé. Une odeur infecte de soufre apporta sur les côtes de la Sicile la nouvelle de ce qui se passait en plaine mer. Bientôt, malgré la distance, on aperçut à l'horizon une haute colonne de fumée qui, la nuit, s'illuminait par| moments de vives et subites lueurs pareilles aux éclairs des soirées d'été. Enfin on entendait comme le roulement sourd d'un tonnerre éloigné. Sans la présence de la colonne de fumée toujours dressée à la même place, on eût cru à quelque orage lointain de longue durée.

A son retour, huit jours après, le même navigateur reconnut, au point où lors de son premier passage il avait trouvé la mer si tumultueuse, une petite île inconnue, d'aspect brûlé et élevée de quelques mètres à peine au-dessus des flots. Au centre, elle était creusée d'une sorte de bassin où bouillonnait une eau rougeâtre et d'où s'élevaient des tourbillons de fumée et des jets de matières volcaniques. Autour de l'île flottaient des poissons morts.

Le 24 juillet, deux semaines après son apparition, cette île étrange put enfin être visitée. A un quart de lieue de distance (la prudence commandait de ne pas approcher davantage), on reconnut que l'îlot formait le bord d'un cratère de 600 à 700 mètres de tour. L'îlot lui-même pouvait avoir un quart de lieue de circonférence et une vingtaine de mètres d'élévation. D'ailleurs l'éruption, continuant sans relâche, tendait à l'élever de plus en plus. au moyen des matériaux rejetés par la bouche volcanique.

De l'orifice du cratère s'échappaient avec violence, mais sans bruit, d'énormes bouffées de vapeurs blanches comme la neige, qui, en se réunissant, formaient, au milieu d'une atmosphère calme, une majestueuse colonne d'un demi-kilomètre de hauteur. Quelques pierres brûlantes la traversaient de temps en temps, aussi rapides que des fusées. Tout à côté de la colonne surgissait une gerbe de fumée noire où tourbillonnaient continuellement, avec un cliquetis comparable à celui de la grêle, des jets de scories, de cendres et de sables volcaniques. Au contact de ces matériaux embrasés, les eaux de la mer frémissaient et fumaient comme au contact du fer rouge. Il ne sortait pas de flammes du cratère ; mais, dès que l'éruption reprenait avec plus de force, de vifs éclairs serpentaient à travers la gerbe noire de cendres, et chacun d'eux était suivi d'un retentissant coup de tonnerre, dont la fréquente répétition devait faire dans le lointain l'effet d'un roulement continu. Cet imposant spectacle était interrompu, de quart d'heure en quart d'heure, par des repos, pendant lesquels on n'apercevait plus que la colonne de vapeurs.

Le 4 août, l'île avait 60 mètres de hauteur et une lieue de circuit. Elle aurait augmenté sans doute encore d'étendue et de hauteur si l'éruption avait duré davantage ; mais, un mois après sa première apparition, le volcan s'apaisa. On put alors parcourir l'île et la visiter sans danger. On lui donna différents noms, parmi lesquels celui d'île Julia. Son existence fut de courte durée : peu à peu l'action des vagues détruisit les bords du cratère ; et dès le mois de décembre de la même année, l'île Julia disparut, transformée en écueil, après avoir apparemment rejeté, au sein même de la mer, une coulée de laves ardentes par quelque crevasse ouverte sur ses flancs.

Le travail volcanique n'était cependant pas épuisé en ce point, car, deux ans plus tard, d'autres éruptions eurent lieu, mais sans amener de nouvelles terres au-dessus des flots. Le cratère, qu'on présumait pour toujours éteint et enseveli dans la mer, a même reparu en 1863, plein d'eau bouillante et de vapeurs sulfureuses.

CLAIRE. — Ces terribles montagnes qui rejettent des fleuves de feu doivent amener bien des calamités.

AUGUSTINE. — Je ne voudrais pas me trouver devant la coulée de laves quand elle descend du volcan.

AURORE. — Un volcan, je l'avoue, est un redoutable voisin ; mais il n'en remplit pas moins un rôle d'une importance majeure pour la sécurité générale. Les bouches volcaniques mettent en rapport l'intérieur de la terre avec le dehors. En offrant des issues permanentes aux vapeurs souterraines, qui tendent à se faire jour en bouleversant le sol, elles rendent moins désastreux les tremblements de terre. Dans les contrées volcaniques, on a constaté, en effet, que toutes les fois que le sol est agité de fortes commotions, une éruption se prépare dans le voisinage, et que le tremblement de terre cesse dès que l'éruption s'est opérée. Les volcans sont des soupiraux providentiels, destinés à prévenir les effets trop violents des commotions de la terre.

source : Jean-Henri Fabre, Aurore, 1874