En peu de jours, en quelques heures même, la fleur se flétrit. Les pétales, les étamines, le calyce se fanent et meurent. Une seule chose survit : l'ovaire, qui doit devenir le fruit. Or, pour survivre aux diverses parties de la fleur et persister sur le rameau quand tout le reste se dessèche et tombe, l'ovaire, au moment où la floraison est dans sa pleine vigueur, reçoit un supplément de force, je dirais presque une nouvelle vie. Les magnificences de la corolle, ses somptueuses colorations, ses parfums, servent à célébrer l'instant solennel où s'éveille dans l'ovaire la nouvelle vitalité. Ce grand acte accompli, la fleur a fait son temps.
Eh bien, c'est la poussière des étamines, c'est le pollen, qui donne ce surcroît d'énergie, sans lequel les graines naissantes périraient dans l'ovaire, lui-même flétri. Il tombe des étamines sur le stigmate, toujours enduit d'une viscosité apte à le retenir ; et du stigmate il fait ressentir sa mystérieuse action dans les profondeurs de l'ovaire. Animées alors d'une nouvelle vie, les graines naissantes prennent un rapide développement, tandis que l'ovaire se gonfle pour leur fournir la place nécessaire. Le résultat final de cet incompréhensible travail, c'est le fruit avec son contenu de semences propres à germer et à produire de nouvelles plantes. Ne m'en demandez pas davantage sur ces admirables choses, où le plus habile cesse de voir clair. Dieu seul sait comment un grain de pollen peut faire naître ce qui n'est pas, et éveiller dans l'ovaire les tressaillements de là vie.
Je vais vous raconter maintenant ce que le microscope montre au sujet du pollen, et comment on s'est assuré que l'arrivée de cette poussière sur le stigmate est indispensable à la transformation de l'ovaire en fruit.
Le plus souvent, le pollen est jaune et semblable à une fine poussière de soufre. Il est blanc dans les liserons et les mauves, violacé dans le coquelicot. Examiné au microscope, il apparaît comme un amas d'innombrables petits grains, tous pareils de forme et de dimensions pour la même plante, mais très-variables d'une espèce végétale à l'autre. Parmi les grains de pollen les plus gros que l'on connaisse, je vous citerai ceux de certaines mauves. Cinq de ces grains mis bout à bout font la longueur d'un millimètre ; mais il y a des végétaux dont il faudrait de 130 à 140 grains pour représenter la même longueur. Vous voyez que la poussière des étamines est parfois d'une excessive finesse.
Par leur configuration très-variée, par les élégants dessins de leur surface, les grains de pollen sont un des sujets les plus intéressants des observations au microscope. Il y en a de ronds, d'ovalaires, d'allongés comme des grains de blé. D'autres ressemblent à de petits tonneaux, à des boules cerclées par un ruban spiral. Quelques-uns sont triangulaires avec les angles arrondis, d'autres affectent la forme de cubes à arêtes émoussées.
Ceux-ci sont lisses à la surface, ou hérissés régulièrement de fines aspérités ceux-là sont taillés à grandes facettes, elles-mêmes encadrées dans un rebord saillant, ou bien se plissent d'un bout à l'autre et imitent les côtes d'un melon. Tous présentent des espaces plus clairs, de forme ronde, distribués avec symétrie et dont le contour est délimité par une ligne d'une grande netteté. Ces espaces ronds se nomment pores.
Chaque grain est formé de deux enveloppes : l'extérieure, colorée, ferme, élastique, souvent ornée d'élégantes granulations ; l'intérieure, mince, lisse, incolore et extensible. Dans les points nommés pores, l'enveloppe extérieure manque et la paroi y est uniquement formée par la membrane intérieure. Quelquefois cependant, comme dans les grains de pollen de la courge, les pores sont fermés par un couvercle rond, qui se détache tout d'une pièce.
Le contenu des grains de pollen consiste en un liquide visqueux au milieu duquel nagent de nombreuses et excessivement fines granulations. Au microscope, les grains étant mis dans une goutte d'eau, on voit ces grains se gonfler, perdre leurs plis, leurs rides, s'ils en avaient au début, et enfin se distendre. Alors l'enveloppe intérieure, refoulée du dedans au dehors, se fait jour par les pores de l'enveloppe extérieure, s'allonge en espèce de sac délié et finit par crever à l'extrémité en lançant un nuage poudreux.
Mais en voilà assez sur cette curieuse structure ; j'arrive à la nécessité du pollen. — La plupart des fleurs ont à la fois des étamines et des pistils. Mais il y a des végétaux qui, dans des fleurs séparées, ont d'une part des étamines, et d'autre part des pistils. Tantôt ces fleurs à étamines seules et à pistils seuls se trouvent sur la même plante ; tantôt elles se trouvent sur des pieds différents. Les plantes qui possèdent des fleurs à étamines seules et des fleurs à pistils seuls sur le même pied s'appellent plantes monoïques. Cette expression signifie une seule maison. Les fleurs à étamines et les fleurs à pistils habitent, en effet, la même maison, puisqu'elles se trouvent sur le même pied. La citrouille, le concombre, le melon, le noisetier, sont des végétaux monoïques.
Les végétaux dont les fleurs à étamines et les fleurs à pistils se trouvent sur des pieds différents sont qualifiés de dioïques, c'est-à-dire à double maison. On veut entendre par là que le pistil et les étamines n'habitent pas le même pied. Le caroubier, le dattier, le chanvre, sont dioïques.
C'est surtout avec les végétaux monoïques ou dioïques que la nécessité du pollen est facile à observer, à cause de la séparation naturelle des étamines et des pistils. Prenons pour exemple le caroubier, arbuste de l'extrême midi de la France, produisant des fruits appelés caroubes, pareils de forme à ceux du pois, mais bruns, très-longs et très-larges. Ces fruits, outre leurs graines, contiennent une chair sucrée. Supposons qu'il nous prenne fantaisie, si le climat le permettait, d'avoir des caroubes dans notre jardin. Quel caroubier nous faudra-t-il planter ? Evidemment l'arbre à pistils, car lui seul possède des ovaires qui deviennent les fruits. Mais cela ne suffira pas. Planté seul, le caroubier à pistils pourra, chaque année, fleurir abondamment sans jamais, au grand jamais, donner un fruit, car ses fleurs tomberont sans laisser un seul ovaire sur les rameaux. Que manque-t-il ? L'action du pollen. A proximité du caroubier à pistils, plantons un caroubier à étamines. Maintenant la fructification marche à souhait. Le vent et les insectes portent le pollen des étamines sur les stigmates ; les ovaires engourdis s'éveillent à la vie, et les caroubes grossissent et mûrissent à point. Avec du pollen, des fruits sans pollen, pas de fruits.
Encore un exemple. Dans les coins de terre fertiles de l'Afrique septentrionale, coins de terre appelés oasis, les Arabes cultivent de nombreux dattiers, qui leur fournissent les dattes, leur principale nourriture. Les dattiers sont encore dioïques. Or, au milieu de plaines de sable brûlées par le soleil, les oasis sont rares ; il importe de les utiliser du mieux. Les Arabes plantent donc uniquement des dattiers à pistils, seuls aptes à produire des dattes ; mais lorsque la floraison est venue, ils vont au loin chercher de grands bouquets de fleurs à étamines sur les dattiers sauvages, pour en secouer le pollen sur leurs plantations. Si cette précaution n'est pas prise, la récolte est nulle.
Mais j'arrive à un exemple qui vous sera plus familier. La citrouille est monoïque ; les fleurs à étamines et les fleurs à pistils habitent la même maison, le même pied. Avant qu'elles soient épanouies, on peut très-bien distinguer les unes des autres. Les fleurs à pistils ont au-dessous de la corolle un renflement presque de la grosseur d'une noix. Ce renflement, c'est l'ovaire ou la future citrouille. Les fleurs à étamines n'ont pas ce renflement. Eh bien, sur un pied de citrouille isolé coupons les fleurs à étamines avant qu'elles s'ouvrent et laissons les fleurs à pistil. Pour plus de sûreté, enveloppons chacune de celles-ci d'une coiffe de gaze assez ample pour permettre à la fleur de se développer sans entraves. Cette opération doit être faite avant l'épanouissement, pour être certain que les stigmates n'ont pas déjà reçu du pollen. Dans ces conditions, ne pouvant recevoir la poussière vivifiante, puisque les fleurs à étamines sont supprimées et que d'ailleurs l'enveloppe de gaze arrête les insectes qui, en butinant, pourraient apporter du pollen du vosinage, les fleurs à pistils se fanent après avoir langui quelque temps, et leur ovaire se dessèche sans grossir en citrouille. Voulons-nous, au contraire, que telle ou telle autre fleur, à notre choix, fructifie malgré sa prison de gaze et la suppression des fleurs à étamines ? Avec un pinceau, recueillons un peu de pollen et déposons-le sur le stigmate. Cela suffira pour que l'ovaire devienne citrouille.
source : Jean-Henri Fabre, Aurore, 1874