Très cher Monsieur.
En un moment de tracasserie que le gouvernement de combat suscite à l'un de mes amis, je m'empresse de recourir à vous, persuadé que vous lui viendrez en aide dans la mesure du possible. Voici le fait :
Mr Vincent, inspecteur primaire à Orange, est bien l'une des personnes qui, à ma connaissance, ont pris le plus à coeur l'instruction populaire et ont su le mieux s'attirer l'estime et la considération des Instituteurs. Depuis tantôt trois ans que j'habite Orange, je n'ai qu'à me féliciter de mes amicales relations avec lui. Je vous le garantis pour un fervent apôtre de l'enseignement populaire. C'est vous dire, sans autres détails, l'animosité contre lui de la gente cléricale. Mon digne ami, que j'avais converti à la botanique, le premier adepte que j'aie fait dans Vaucluse, est à la veille d'un changement pour une destination encore inconnue.
Cette destination, serait-il en votre pouvoir de la faire tourner suivant les souhaits de mon ami ? Mr Vincent désirerait l'inspection de la Rochelle, ou, si ce n'est possible, l'inspection de quelque localité rapprochée. Des raisons de famille l'appelleraient dans ces régions. C'est Mr Gréard, directeur général de l'instruction primaire, qui dispose de pareils emplois. Vous serait-il possible, par l'intermédiaire de Mr Milne-Edwards de faire quelque chose pour nous ? Jugez-vous à propos que j'écrive moi-même à Mr Milne-Edwards ? Il y a hâte : les cléricaux sont pressés de le voir partir d'Orange, et on pourrait le caser qui sait où.
Vous m'avez déjà rendu tant de services, même sans en avertir votre serviteur, que j'ai une confiance aveugle dans le succès de la démarche que je fais aujourd'hui auprès de vous pour obliger d'un de mes meilleurs amis d'Orange.
Il m'est survenu ces jours derniers une distinction honorifique de la part de la société protectrice des animaux pour l'un de mes petits livres intitulé les Auxiliaires. Comme vous êtes coutumier de pareils faits, votre habituelle obligeance est certainement la cause première de cette distinction. Veuillez en agréer mes bien sincères remerciements.
Votre Serviteur tout dévoué
J.-H. Fabre
Orange
21 Juillet 1873
source : © Académie des Sciences, Paris.