Mon cher ami,

Votre curieux produit en laque rouge venu sur une feuille de chêne est très problablement une galle de quelque Cynips. Je dis probablement, n'ayant pas voulu m'en assurer en faisant une section de la chose, ce qui l'aurait détériorée. Je me propose, si vous voulez bien me le permettre, d'envoyer cette galle au Muséum de Paris avec une foule d'autres documents entomologiques, qui m'ont été demandés. Je connais de bien curieuses galles de Cynips sur les feuilles de chêne. Il y en a de semblables à des lentilles, il y en a en forme de disques avec bourrelet figurant de petits boutons de chemise. D'autres venant à la base des tiges ressemblent à des amas de petits noyaux d'olive incrustés dans l'écorce. Ces produits si variés appartiennent plusieurs à la même espèce, car les Cynips ont des générations alternantes, caractérisées chacune par des formes et des moeurs différentes. Néanmoins, je n'ai encore vu soit dans les bois soit dans les livres, rien qui ressemble à votre singulier produit.

Le genre Iberis n'est pas toujours commode dans la détermination de ses espèces. En m'en rapportant à mes seuls souvenirs, je dénommerais l'incomplet échantillon que vous m'avez soumis soit I. linifolia Lin, soit I. Prostéi Loy Will. J'ai trouvé ce dernier dans les montagnes de Sablet.

Vous me demandez quand paraîtra le quatrième volume des Souvenirs Entomologiques. Je me proposais de l'écrire cet hiver. J'ai cru bien faire d'attendre encore, ne trouvant pas la poire suffisamment mûre. J'ai à faire encore, à la belle saison, quelques recherches et quelques expérimentations pour élucider certains points majeurs où je désirerais apporter la plus grande somme de lumière possible.

Quand vous le pourrez, échappez-vous un peu de votre tribunal et nous philosopherons à tort et à travers, comme il est d'usage lorsque nous pouvons passer quelques heures ensemble. Quant à moi, il est fort douteux que la tentation me prenne de venir à Carpentras. Un ermite de la Thébaïde n'était pas plus assidu à sa cellule, que je ne le suis à ma case de villageois.

Mes amitiés à l'excellent M. Poujade.

Votre tout dévoué.

J.-H. Fabre

Sérignan
19 décembre 1888.

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