La transformation de la Garance en Garancine a essentiellement pour but d'éliminer, autant que possible, les matières étrangères au principe tinctorial, c'est en un mot une concentration.
Cette concentration s'obtient en traitant, à la température de l'ébullition, la poudre de Garance additionnée d'eau, pour le tiers de son poids d'acide sulfurique à 66°. D'après les idées généralement reçues dans les usines de Garancine, l'acide sulfurique concentre la Garancine en charbonnant les matières étrangères au principe tinctorial. Ces idées sont erronées. Si la carbonisation par l'acide sulfurique avait lieu, la substance tinctoriale serait détruite. L'action de l'acide sulfurique se borne à opérer la métamorphose de quelques principes insolubles en d'autres principes solubles. L'acide agit donc comme dissolvant.
Or les opérations de laboratoire, comme les opérations industrielles, démontrent que l'action d'un dissolvant est exaltée par l'élévation de la température, de sorte que, entre certaines limites, la quantité de ce dissolvant et la température où s'opère la réaction sont comme deux facteurs variables d'un produit ou d'un dissolvant. Augmente-t-on la quantité du dissolvant, la température nécessaire pour la réaction sera moins élevée ; vient-on au contraire, à élever la température, la quantité nécessaire du dissolvant sera moindre. Ce principe général se vérifie dans la fabrication de la Garancine. On peut faire de la Garancine à froid en employant une dose suffisante d'acide sulfurique, à peu près un poids égal à celui de la Garance brute. Mais si la température est poussée jusqu'à 100° ou à l'ébullition, la pratique des usines enseigne qu'il ne faut plus, en fait d'acide, que le tiers du poids de la Garance ou 33 %.
L'Industrie de la Garancine n'a encore tenu compte de ce principe, et elle s'est arrêtée, dans ses applications, à la température de 100° et à la dose de 33 % d'acide à 66°.
Mes essais m'ont démontré qu'on peut, tout en obtenant absolument le même produit, réduire la quantité d'acide sulfurique à 10 % ou même 5 % du poids de la Garance. Pour cela, il ne faut qu'élever un peu plus la température, et la porter entre 115° et 130° environ. C'est sur ces idées qu'est basée le perfectionnement suivant apporté à la fabrication de la Garancine, et pour lequel je sollicite un brevet d'invention de la durée de quinze ans.
1° La poudre de Garance est lavée comme on le fait ordinairement.
2° La poudre lavée réduite en bouillie à demi fluide est arrosée avec une dose d'acide sulfurique à 66° variant de 5 à 10 % du poids initial de la Garance suivant le degré de concentration qu'on veut obtenir. Il est évident que l'acide sulfurique peut être remplacée par une quantité équivalente d'acide chlorhydrique. La bouillie convenablement brassée est introduite dans un vase qu'on peut hermétiquement fermer et capable de supporter la pression qu'amène le développement voulu de température. Le vase une fois fermé est porté, soit par l'application directe de la chaleur, soit par la vapeur que fournit un générateur, à une température supérieure à 100°. La température de 120° me paraît la plus commode lorsque le dose d'acide est de 10 %. On pourrait sans inconvénient l'élever davantage et la pousser à 130°, 140° etc. Cette dernière température est même nécessaire si l'on baisse la quantité d'acide au dessous de 10 %. La cuite dure de une heure à une heure et demie.
La Garance cuite est lavée sur des filtres comme à l'ordinaire et enfin séchée et triturée.
La Garancine ainsi obtenue ne diffère en rien de la Garancine préparée par la méthode suivie jusqu'ici dans l'industrie.
En résumé l'idée pour laquelle je sollicite un droit prohibitif se trouve exclusivement dans la seconde de ces trois opérations. Elle a pour but de diminuer les frais en acide dont les deux tiers environ sont supprimés et suppléés par la température élevée obtenue en vase clos.
Jean-Henri FABRE
Docteur ès sciencesProfesseur
de physique et de chimie
auLycée impérial
et aux écoles municipales
d'Avignon
(Vaucluse)

autographe de Jean-Henri Fabre
source : INPI France