Les plantes tinctoriales de la famille des Rubiacées sont soumises à un mode de concentration basé sur un traitement par l'acide sulfurique ou chlorhydrique. Dans le cas particulier de la Garance, le produit de cette concentration prend le nom de Garance, le produit de cette concentration prend le nom de Garancine. La méthode employée consiste à cuire la Garance dans de l'eau acidulée à raison de 1/3 d'acide pour 1 de Garance. Dans cette opération, l'acide me paraît agir uniquement comme dissolvant de quelques matières étrangères au principe tinctorial et comme désorganisation du tissu de la plante. A ce point de vue, l'action de l'acide doit être d'autant plus radicale que celui-ci est moins dilué. Cela étant, la méthode employée jusqu'ici est vicieuse en ce sens que diluant l'acide dans une grande quantité d'eau, cela exige une dose considérable de ce dernier. Cette dose d'acide qui dans la méthode ordinaire va en moyenne à 30 % du poids de la Garance peut être réduite jusqu'à 10 et même 5% en faisant agir l'acide sur la matière tinctoriale sans la présence de l'eau. Mais il est évident qu'on ne peut songer à distribuer uniformément une aussi minime quantité d'acide sur des masses considérables sans faire intervenir un véhicule. Ce véhicule sera encore de l'eau, seulement quand toute la masse imbibée d'eau acidulée, cette eau sera chassée par une dessication complète à l'étuve. Privé de l'eau et favorisé dans ses réactions par la température de l'étuve, l'acide produit alors à petites doses les effets qu'il ne produit qu'à haute dose dans le genre de manipulations adoptées jusqu'ici, après cette action de l'acide, il reste à débarrasser la matière des produits solubles qui se sont formés. C'est ce qu'on obtient à l'aide de l'ébullition dans de l'eau ordinaire et des lavages. Telle est en peu de mots la nouvelle méthode que je propose pour convertir la Garance en Garancine et pour concentrer les autres Rubiacées tinctoriales. Voici les détails de ce genre d'opérations appliquées spécialement à la racine et à la fane de Garance. Le traitement de la Garance peut s'effectuer sur la racine ou sur la poudre.
§1 Traitement de la racine de la Garance.
Dans le cas actuel, on peut se proposer d'extraire tout d'abord le Glucose pour le convertir en alcool, ou de ne l'extraire qu'à la fin de l'opération. Dans le premier cas la Garancine est plus ou moins blonde, dans le second cas elle vire au noir. Supposons que l'extraction du Glucose précède l'action de l'acide. C'est la meilleure marche à cause de l'aspect plus agréable de la Garancine obtenue.
Dans ce cas, la racine, soit brute soit coupée est mise à tremper une douzaine d'heures dans une quantité d'eau suffisante pour que tout soit immergé. Cela fait, la racine est grossièrement broyée sous la meule et fortement pressée. L'eau qui s'en écoule est réunie à celle qui formait le bain d'immersion. Le Glucose se trouve dans ces eaux. On les utilise comme dans la fabrication ordinaire. Il reste alors à distribuer la dose voulue d'acide dans les tourteaux pressés. Le moyen le plus simple consiste à arroser ces tourteaux brisés avec de l'eau acidulée contenant suivant le degré de concentration qu'on veut obtenir de 5 à 10 % d'acide sulfurique ou chlorhydrique et de 100 à 150 % d'eau, ces deux poids étant rapportés au poids primitif de la racine. La matière ainsi arrosée est mise au feu quelques heures pour que l'imbibition de l'eau acidulée puisse se faire aussi uniformément que possible.
On peut encore, pour avoir moins d'eau à évaporer, augmenter la dose d'acide dans le traitement précédent, ou mettre tremper les tourteaux dans l'eau acidulée, puis presser. Il faut alors graduer le degré d'acidité de l'eau employée de cette sorte qu'après la pression, la matière renferme encore assez de liquide pour représenter en acide de 5 à 10 % du poids de la racine brute. Il est clair que les eaux acides provenant de cette pression sont recueillies pour servir à une nouvelle opération.
Quel que soit le mode adopté la matière imprégnée d'eau acidulée est portée dans des étuves chauffées à 60° environ. On l'y laisse jusqu'à dessication complète. Il est bon, mais non indispensable, qu'au sortir de l'étuve la matière soit pressée sous la meule pour être réduite en poudre grossière. Là se termine la première opération. Arrivons à la seconde.
La matière desséchée et triturée ou non est mise dans les cuves de cuite avec de l'eau ordinaire simplement sans aucune addition d'acide. On porte à l'ébullition qu'on maintient pendant près de une heure. Cela fait, la matière cuite est lavée sur des filtres. Le reste des opérations rentre dans le cercle de la méthode en usage.
Supposons enfin que l'extraction du Glucose soit renvoyée à la fin du traitement. Alors la racine est mise directement à macérer dans de l'eau acidulée à un degré tel qu'après gonflement complet de la racine, celle-ci renferme en acide 5 à 10 % de son poids initial. Viennent alors la dessication à l'étuve, la trituration grossière et enfin la cuite absolument comme dans le cas précédent, seulement lors du lavage les premières eaux sont recueillies. Ces eaux sont alcoolisables après saturation par le carbonate de chaux de la faible quantité d'acide qu'elles renfermaient.
§ 2 Traitement de la poudre de Garance
La poudre est lavée, comme c'est en usage. Les tourteaux sont délayés dans une eau acidulée à un degré tel qu'après la pression ils renferment en acide de 5 à 10 % du poids primitif de la poudre. Ils sont alors desséchés à l'étuve, et après dessication complète traites absolument comme les tourteaux obtenus avec la racine concassée.
§ 3 Traitement de la fane de Garance
La fane que j'utilise comme matière tinctoriale et au sujet de laquelle j'ai déjà pris un brevet, se traite avantageusement par la nouvelle méthode. La fane brute est mise à tremper dans de l'eau acidulée à un degré tel qu'après gonflement complet elle renferme en acide de 5 à 10 % de son poids initial. Imbibée d'eau acidulée la fane est complètement desséchée à l'étuve à la température d'environ 60°, puis grossièrement triturée et enfin cuite et lavée absolument comme je l'ai dit pour la racine. Dans le cas où on aurait à sa disposition les premières eaux de lavage de la Garancine obtenue par la méthode ordinaire, ces eaux seraient plus que suffisantes pour l'acidulation de la fane.
Ces traitements s'appliquent à la fane en poudre et à toutes les Rubiacées tinctoriales.
En résumé, acidulation de la Garance, de la fane, et des autres Rubiacées tinctoriales, Chayaver, Munjet, sous quelque forme qu'elles soient, à raison de 5 à 10 % d'acide sulfurique ou chlorhydrique convenablement étendue d'eau, dessication complète à l'étuve pour que l'acide en se concentrant opère radicalement sa réaction : et enfin cuite avec de l'eau ordinaire de la matière ainsi traitée, tel est dans ce qu'il a d'essentiel le procédé pour lequel je sollicite un brevet d'invention de la durée de quinze ans.
Avignon, 1er septembre 1860
Docteur ès Sciences
professeur de physique et de chimie
et
aux écoles municipales d'Avignon (Vaucluse)
source : INPI France