L'oeuf des Sphex, ainsi que celui des Ammophiles, est blanc, allongé, cylindrique, un peu courbé en arc, et mesure de 3 à 4 millimètres en longueur. Au lieu d'être pondu au hasard sur un point quelconque de la victime, il est, au contraire déposé sur un point privilégié et invariable. Ainsi celui du Sphex flavipennis est placé en travers sur la poitrine du Grillon, entre la première et la seconde paire de pattes ; celui du Sphex albisecta,encore sur la poitrine de l'Acridien, mais un peu par côté, entre la seconde et la troisième paire de pattes ; enfin celui des Ammophiles, dans le voisinage du segment piqué, entre le cinquième et le septième segment. Il faut que le point choisi présente quelque particularité d'une haute importance pour la sécurité de la jeune larve, puisque je ne l'ai jamais vu varier. L'éclosion a lieu au bout de trois ou quatre jours. Une tunique des plus délicates, à peine visible même, se déchire, et on a sous les yeux un débile vermisseau transparent comme du cristal, un peu atténué et comme étranglé en avant, légèrement renflé en arrière, et orné, de chaque côté, d'un étroit filet blanc formé par les principaux troncs trachéens. La faible créature occupe la même position que l'oeuf. Sa têteest comme implantée au point où l'extrémité antérieure de l'oeuf était attachée, et tout le reste du corps s'appuie simplement sur la victime sans y adhérer. On ne tarde pas à distinguer, par transparence, dans l'intérieur du vermisseau, des fluctuations rapides, des ondes qui marchent les unes à la suite des autres avec une merveilleuse régularité, et qui naissant du milieu du corps se propagent, les unes en avant, les autres en arrière. Ces mouvements ondulatoires sont dus au tube digestif qui s'abreuve à longs traits des sucs puisés dans les flancs de la victime.
Arrêtons-nous un instant sur un spectacle fait pour captiver notre attention, et prenons pour exemple ce qui se passe dans une cellule d'Ammophile. Une Chenille est étendue indolente sur le flanc, et quoique pleine de vie, puisque au moindre attouchement de la pointe d'une aiguille elle fouette avec vigueur les parois du tube de verre où je l'ai renfermée pour l'observer ; quoique pleine de vie elle se laisse ronger les entrailles, sans faire de résistance, par une chétive créature qu'elle écraserait dans le moindre de ses mouvements. Le vermisseau est perdu s'il vient à être arraché du point où il puise la vie ; tout est fini pour lui s'il se laisse choir, car, dans sa débilité et privé qu'il est des moyens de se mouvoir, comment retrouvera-t-il le point où il doit s'abreuver ? Un rien suffit à la Chenille pour se débarrasser du parasite mortel, et la gigantesque victime ne bouge pas. C'est à ne pas en croire ses yeux. Ici se montre encore une fois la haute sagesse de l'instinct. J'ai dit que le cinquième ou le sixième segment de la Chenille est rendu, par la piqûre de l'Hyménoptère, insensible à tel point qu'on peut l'irriter avec une aiguille, le transpercer même sans que le patient manifeste des signes de douleur. C'est sur ce segment que l'oeuf a été pondu, c'est ce segment que ronge la larve ; aussi la Chenille reste immobile [ D'après les observations de M. Passerini (Lepelletier de Saint-Fargeau, Hist. des Hym., t. III, p. 511 ), l'oeuf du Scolia hortorum est pondu sous le ventre de la larve de l'Oryctes, entre le cinquième et le sixième anneau. J'ai sous les yeux une jeune larve d'un autre Scolien, apparemment du Tiphia femorata, occupant précisément la même place sur sa victime, qui est encore une larve de Lamellicorne ]. Plus tard, lorsque le progrès de la plaie aura gagné un point sensible, la Chenille se démènera sans doute ; mais il sera trop tard, sa torpeur sera trop profonde, et d'ailleurs l'ennemi aura pris des forces. Je m'explique maintenant pourquoi l'oeuf est déposé en un point invariable, pourquoi c'est toujours sur la blessure faite par l'aiguillon ou dans son voisinage. La ponte s'opère sous terre, dans une complète obscurité, ce qui n'empêche pas la mère de discerner sans erreur sur la victime la place convenable. L'extrémité de l'abdomen qui sait si bien choisir les points les plus vulnérables, sait aussi retrouver dans l'ombre les mêmes points. L'instinct pour y voir n'a besoin ni d'yeux ni de lumière.
Revenons à la jeune larve. Celle des Ammophiles prend rapidement une belle teinte verte, due à la couleur des fluides puisés dans la Chenille. Trois ou quatre jours après l'éclosion, on distingue sous son épiderme de fines ponctuations blanches, qui jetteront quelque lumière sur un problème physiologique très controversé. Bientôt la couleur verte disparaît sous une abondante couche de tissu adipeux, et la larve devient d'un blanc jaunâtre. Je ne pousserai pas plus loin l'histoire de son évolution pour m'attacher uniquement à la larve du Sphex flavipennis. D'ailleurs l'évolution est la même de part et d'autre. J'ai élevé des larves de Sphex dans des tubes de verre, leur donnant l'un après l'autre des Grillons pris dans les cellules, et j'ai pu ainsi suivre jour par jour les progrès rapides de mes nourrissons. Le premier Grillon est attaqué au point où le dard du chasseur s'est porté en second lieu, c'est-à-dire entre la première et la seconde paire de pattes. En peu de jours, la jeune larve a creusé dans le thorax de sa victime un puits suffisant pour y plonger à demi. Il n'est pas rare de voir alors le Grillon mordu au vif agiter inutilement quelques-unes de ses pattes, ses antennes ou ses filets abdominaux, et même entr'ouvrir et fermer à vide ses mandibules. Mais l'ennemi est en sûreté et fouille impunément ses entrailles. Quel épouvantable cauchemar pour le Grillon paralysé ! Cette première ration est épuisée dans six à sept jours ; il n'en reste que la carcasse tégumentaire, dont toutes les pièces sont à peu près en place. La larve, dont la longueur est alors de 13 millimètres, sort du corps du Grillon par le trou qu'elle a pratiqué au début dans le thorax. Pendant cette opération elle subit une mue, et sa dépouille reste souvent engagée dans l'ouverture par où elle est sortie. Avant la fin de ce premier repas, on voit apparaître sur la larve du Sphex, comme sur celles des Ammophiles, d'innombrables ponctuations fines et sous-épidermiques dont j'expliquerai plus loin la nature. Après le repos de la mue, une seconde ration est entamée. Fortifiée maintenant, la larve n'a rien à craindre des faibles mouvements du Grillon, dont la torpeur, chaque jour croissante, a eu le temps d'éteindre ses velléités de résistance, depuis plus d'une semaine que le dard l'a atteint. Aussi l'attaque-t-elle sans précautions, et ordinairement par l'abdomen plus succulent et plus tendre. Bientôt vient le tour du troisième Grillon, et enfin celui du quatrième, qui est dévoré dans l'intervalle d'une dizaine d'heures. De ces trois dernières victimes il ne reste que les téguments coriaces, dont les diverses pièces sont démembrées une à une et soigneusement vidées. Si une cinquième ration lui est offerte, la larve la dédaigne ou y touche à peine, non par tempérance, mais par une impérieuse nécessité. Remarquons, en effet, que jusqu'ici la larve n'a rejeté aucun excrément, et que son intestin, où se sont engouffrés quatre Grillons, est tendu jusqu'à crever. Une nouvelle ration ne peut donc tenter sa gloutonnerie, et désormais elle songe à tapisser de soie sa demeure. En tout son repas a duré de dix à douze jours, presque sans discontinuer.
A cette époque, la longueur de la larve mesure de 25 à 30 millimètres, et sa plus grande largeur de 5 à 6. Sa forme générale, un peu élargie en arrière, graduellement rétrécie en avant, est conforme au type ordinaire des larves d'Hyménoptères. Ses segments sont au nombre de quatorze, en y comprenant la tête fort petite et armée de faibles mandibules, qu'on croirait incapables du rôle qu'elles viennent de remplir. De ces quatorze segments, les dix intermédiaires sont munis de stigmates. Sa livrée se compose d'un fond blanc jaunâtre, semé d'innombrables ponctuations d'un blanc crétacé ; mais, au lieu d'être superficielle, cette coloration est occasionnée par le tissu adipeux que la transparence de l'enveloppe cutanée permet d'apercevoir. Cet examen des parties externes n'ayant rien d'important à nous apprendre, passons sans plus tarder à l'analyse du scalpel.
Appareil digestif. — L'oesophage, étroit et fort court, occupe tout au plus la longueur du premier segment thoracique. Le ventricule chylifique est volumineux, distendu, irrégulièrement boursouflé et d'une nuance cornée. Toute sa surface est parcourue par des sillons déliés fort rapprochés, les uns longitudinaux, les autres transverses, et dont l'ensemble donne naissance à une fine réticulation qu'on ne peut bien constater qu'à la loupe. Dans l'eau, le ventricule chylifique, déjà distendu par la masse alimentaire jusqu'à sa limite d'élasticité, se gonfle encore par l'action de l'endosmose, et ne tarde pas à se fendre suivant sa longueur pour laisser échapper un sac formé d'une pellicule épithéliaires qui, par sa ténuité, défie presque le regard. Ce sac est rempli, d'un bout à l'autre, d'une pulpe rouge amarante où brillent çà et là quelques parcelles des téguments noirs et luisants des Grillons. Le ventricule chylifique se termine par une petite ampoule diaphane à la partie supérieure de laquelle se rendent les vaisseaux de Malpighi au nombre de quatre. Ces derniers sont assez gros, flexueux, diaphanes comme l'ampoule qui les reçoit. Enfin le rectum, qu'un pédicule relie à la dilatation ampullaire, précédente, est très court, ballonné, diaphane et muni de six bandes étroites, d'un blanc opaque, disposées en méridien. Vues au microscope, ces bandes paraissent glanduleuses, et se résolvent en pulviscule opaque très menue. Je n'ai jamais vu le rectum renfermer autre chose qu'un liquide limpide. Peut-être même, dans les circonstances ordinaires, ce liquide manque-t-il, car il peut provenir maintenant de l'infiltration de l'eau employée pour la dissection. Cette absence de toute matière solide dans la partie terminale de l'appareil digestif n'a rien de surprenant, puisque jusqu'ici la larve n'a rejeté aucun excrément.
Appareil sérifique. — La partie la plus remarquable de l'organisation de la larve se compose des glandes destinées à la sécrétion de la soie. On sait que généralement, chezles larves qui se tissent un cocon pour passer à l'état de nymphe, l'appareil qui secrète la soie se compose de deux caecums tubulaires plus ou moins longs et flexueux. Dans la larve du Sphex flavipennis, cette forme élémentaireest remplacée par une autre de la plus étonnante complication, et dont on doit trouver peu d'exemples dans l'anatomie des Insectes. En effet, chaque glande, formée d'abord d'un tube d'assez gros calibre capricieusement flexueux, se divise et se subdivise bientôt en courts rameaux qui s'anastomosent avec les rameauxvoisins pour former des mailles irrégulières d'où s'échappent d'autres subdivisions également anastomosées en mailles, et ainsi de suite dans toute l'étendue de l'appareil glandulaire. Les organes sécréteurs de la soie figurent ainsi chacun une large nappe en forme de filet, une élégante dentelle dont les fils conservent partout à peu près le même diamètre, mais dont les jours vont en se resserrant à mesure qu'ils sont plus rapprochés des bords. Les deux nappes sérifiques se rejoignent, sans se relier l'une à l'autre, au-dessus et au-dessous du tube digestif, qu'elles enveloppent de toute part jusqu'à l'extrémité la plus reculée de l'abdomen. Les segments thoraciques occupés par les deux tubes indivis sont les seuls où ces nappes ne pénètrent pas. Le tissu adipeux se moule extérieurement sur cette dentelle vivante, plonge dans toutes ses mailles et les maintient en place. Si l'on évalue approximativement la longueur totale que fourniraient, étant rectifiées, les innombrables mailles du réseau glandulaire dont je donne une bien faible esquisse, on est saisi d'étonnement devant l'étendue de la surface apte à produire de la soie, et l'on soupçonne un cocon d'une structure peu commune. Les glandes sérifiques des Ammophiles ne diffèrent pas de celles des Sphex, et chose digne de remarque, les Bombex, qui n'ont aucune parenté avec les Sphégiens, en présentent encore de pareilles. J'ai retrouvé dans la larve du Bombex vidua le réseau sérifique des larves des Sphex.
Tissu adipeux. — Nous avons vu que, peu de jours après l'éclosion, de fines ponctuations blanches commencent à se montrer sous le derme transparent de la larve. Ces macules gagnent rapidement en nombre et en volume, et finissent par envahir tout le corps, les deux ou trois premiers segments exceptés. En ouvrant la larve, on reconnaît que ces ponctuations sont une dépendance de la nappe adipeuse dont elles forment une bonne partie : car bien loin d'être semées uniquement à sa surface, elles pénètrent dans toute son épaisseur et en si grand nombre, qu'on ne peut avec des pinces saisir une parcelle du tissu adipeux sans en détacher quelques-unes. On croirait d'abord avoir sous les yeux d'innombrables et microscopiques entozoaires cystiques. Les mêmes apparences se sont probablement présentées à l'oeil clairvoyant de Swammerdam, puisqu'il dit dans son Anatomie du Ver du Scarabée monocéros: La graisse de notre Ver, vue à un microscope qui grossit un peu les objets, parait tout environnée comme de petites hydatides [ Biblio naturoe, Coll. acad., t. V. ]. Le tissu adipeux de la larve du Sphex n'exige pas le microscope pour étaler aux regards ses myriades de corpuscules blancs, parfaitement visibles sans les secours de l'optique. Ces secours ne deviennent nécessaires que lorsqu'on veut étudier en détail ces macules énigmatiques. On reconnaît alors que le tissu adipeux se compose de deux sortes d'utricules : les uns, teintés de jaune et transparents, sont remplis de gouttelettes huileuses circulaires ; les autres, opaques et d'un blanc amylacé, sont remplis d'une pulviscule à grains très fins qui s'étale en traînée nuageuse, lorsque, sur le porte-objet, l'utricule qui la contient vient à être rompu. Les deux sortes d'utricules ont le même volume, et sont groupées pêle-mêle sans aucun ordre apparent. Les premiers appartiennent au tissu adipeux proprement dit, et je ne m'en occuperai pas davantage ; les seconds forment les ponctuations blanches, sur la nature desquelles il est utile de s'arrêter.
A l'inspection microscopique, on reconnaît que la pulviscule contenue dans les utricules blancs se compose de granulations très fines, opaques, insolubles dans l'eau et plus denses que ce liquide. L'essai des réactifs chimiques sur le porte-objet démontre encore que l'acide azotique les dissout avec effervescence et sans le moindre résidu, lors même qu'elles sont encore renfermées dans leur utricule. Les cellules adipeuses proprement dites n'éprouvent au contraire, aucun changement par l'action de cet acide, si ce n'est dans leur coloration, dont la nuance jaune se fonce davantage. J'ai mis à profit cette propriété pour opérer plus en grand. Le tissu adipeux extrait de plusieurs larves a été traité par l'acide azotique. L'effervescence est presque aussi vive que si la réaction s'opérait entre un morceau de craie et l'acide. Quand l'effervescence est apaisée, il flotte des grumeaux jaunes provenant des corps gras du tissu et facilement séparables du liquide. Celui-ci est alors parfaitement limpide et très légèrement coloré en jaune. C'est sur ce liquide renfermant en dissolution les granulations blanches que doivent porter les recherches ultérieures. Sans rapporter ici mes diverses tentatives pour reconnaître la nature de cette substance, j'arrive immédiatement au trait caractéristique. La dissolution étant évaporée, je promène une goutte d'ammoniaque sur le résidu encore fumant. Il se manifeste aussitôt une superbe couleur carminée. Le problème est résolu, la couleur qui vient de se former est de la murénide, et la pulviscule, blanche est de l'acide urique ou un urate. Et en effet, toutes les réactions caractéristiques de l'acide urique se reproduisent ici parfaitement, savoir : dissolution à froid dans l'acide azotique, avec effervescence et sans résidu ; formation de la murénide par cette dissolution en présence de l'ammoniaque.
Un fait physiologique aussi important ne saurait être isolé ; examinons donc ce qui se passe dans des larves autres que celles des Sphex. Les larves des Ammophiles et du Bombex vidua sont également tigrées de ponctuations blanches dues aux utricules pleins d'acide urique, et disséminés à profusion dans toute la masse du tissu adipeux. Je retrouve ces mêmes ponctuations dans une jeune larve de Scolien citée en note quelques pages plus haut. Ce sont là, jusqu'ici, les seuls exemples à ma connaissance où l'acide urique se manifeste au dehors par des ponctuations blanches, peu de jours même après l'éclosion. Mais je n'ai pu observer encore qu'un bien petit nombre de larves à leurs débuts ; aussi ces quelques exemples, puisés dans des familles si différentes, me portent à croire que beaucoup d'autres espèces doivent présenter le même fait.
Une fois sur la voie, j'ai recherché l'acide urique dans la masse adipeuse des larves qui, extérieurement, n'offrent pas les ponctuations précédentes. Mes épreuves se sont adressées à des genres dont l'alimentation est fort différente : les uns (Cerceris, Tachytes) vivant de proie, les autres, (Anthophora, Anthidium) se nourrissent de pâtée mielleuse. Mais ces larves n'étaient plus dans leur période active ; elles se trouvaient au contraire, depuis un temps plus ou moins long, dans cette longue période de repos et d'abstinence absolus qui dure près d'un an, et pendant laquelle s'effectue le travail occulte de la nymphose. La contenu du sac dermique de la larve consiste alors en une sorte de bouillie oléagineuse prenant un peu de consistance à l'air. Cette bouillie est toute parsemée de fines granulations blanches que les réactions de la chimie font reconnaître pour de l'acide urique. On peut alors, comme l'intestin ne renferme plus rien, délayer tout simplement la larve entière dans l'acide azotique, et l'on est témoin d'une effervescence que, dans bien des cas, j'ai pu comparer à celle de la craie. Ces exemples suffisent pour établir que, dans les larves d'Hyménoptères, le tissu adipeux est le siège d'une abondante formation d'acide urique, sinon toujours dans la période active, du moins pendant la période de la nymphose.
En est-il de même dans les divers ordres de la classe des Insectes ? J'ai examiné des pupes de Diptère (Tachina larvarum), des nymphes de Coléoptère (Sitaris humeralis), des chrysalides de Lépidoptère (Bombyx bucephala), et enfin des Orthoptères récemment parvenus à la forme adulte (Ephippiger vilium) ; dans tous les cas le corps adipeux, bien que ne contenant pas de granulations distinctes, a fait une vive effervescence et a fourni de la murexide. Je signalerai surtout comme très riches en acide urique la pulpe d'aspect crétacé extraite des nymphes de Sitaris, et la bande adipeuse blanche qui revêt la face inférieure de l'abdomen des Ephippiger récemment adultes. Les larves de ces divers ordres, dans leur période d'activité, ne présentent plus rien de pareil, quelle que soit la nature de leur alimentation. J'ai vainement recherché de l'acide urique dans les larves carnassières de l'Hydrophilus piceus, et dans les Chenilles herbivores de l'Attacus Pavonia major du Bombyx bucephala. Dans les Chenilles du Bombyx, par exemple, deux ou trois jours avant les premiers symptômes de la nymphose, le tissu adipeux ne fait pas d'effervescence dans l'acide azotique ; mais dès que la peau de la larve commence à se flétrir, l'effervescence devient manifeste. Est-ce à dire que l'acide urique, ce produit inévitable des transformations vitales, ne se forme pas, au moins dans les larves carnassières, pendant la période d'activité ? Ce n'est guère probable. Considérons deux larves vivant deproie, celle du Sphex et celle de l'Hydrophile. Dans la première, la voie des excrétions solides ne fonctionne pas encore ; le tube digestif ne rejette absolument rien, et l'acide urique ne pouvant s'écouler à mesure qu'il se forme, faute d'une voie ouverte, s'accumule dans la masse adipeuse qui sert ainsi de réservoir commun aux résidus du travail organique précédent, et aux substances plastiques destinées aux transformations futures. Il se passe ici quelque chose d'analogue à ce qui a lieu dans les animaux supérieurs après l'ablation des reins : l'urée, contenue d'abord en quantité insensible dans le sang, s'y accumule et devient manifeste quand ses voies d'écoulement lui sont enlevées. Dans la larve de l'Hydrophile, la voie des excrétions étant libre dès l'éclosion, le départ de l'acide urique doit avoir lieu à mesure que cette substance se forme, et le tissu adipeux n'en recèle plus en dépôt. Mais pendant le travail de la métamorphose, toute excrétion devenant impossible de part et d'autre, l'acide urique doit s'amasser également dans le corps adipeux des diverses larves, et c'est ce qui arrive en effet. La nature de l'alimentation de la larve doit enfin influer, pendant la période active, sur la formation plus ou moins abondante de l'acide urique ; il peut se faire même que, dans les espèces dont le régime est végétal, cette formation soit nulle. Mais ces différences disparaissent à l'époque de la nymphose, et toutes les larves étant également soumises à une abstinence complète, doivent par cela même se comporter comme sous l'influence d'un régime animal et produire de l'acide urique. En résumé, dans les larves carnassières actives, mais qui n'ont pas encore de voie ouverte à l'écoulement des résidus du travail vital, les cellules adipeuses recèlent en dépôt l'acide urique formé ; et dans toutes, sans distinction d'organisation et d'alimentation primitives, le même fait se reproduit pendant les profonds travaux de remaniement de la métamorphose, ou du passage à la forme adulte.
Revenons à la larve du Sphex, et poursuivons l'acide urique jusqu'à son expulsion pour saisir, s'il est possible, la voie suivie dans ce départ. Est-ce par les vaisseaux de Malpighi, est -ce par une autre voie que la nappe adipeuse doit peu à peu se débarrasser des produits oxydés que recèlent ses cellules ? Telle est la question qu'il importe de résoudre. Lorsque la larve a fini de tisser sa demeure, elle rejette, dans le cocon même et une fois pour toutes, la masse des résidus de la digestion. C'est une pulpe d'un noir violet, sans traces d'acide urique appréciables à la vue ou à l'aide des réactifs. D'un bout à l'autre, le tube digestif se trouve alorscomplètement libre ; mais le corps adipeux continue à fourmiller de granulations blanches dont le nombre va même en augmentant sous l'action lente et sourde d'une vie qui sommeille. Rien de remarquable n'a lieu jusqu'au passage de la larve à l'état de nymphe. A cette époque, on voit, grâce à la translucidité des téguments, que le tissu adipeux considérablement réduit, mais aussi plus riche en granulations blanches, est relégué en entier dans l'abdomen. Enfin la nymphe déchire sa fragile enveloppe, et apparaît l'insecte parfait, l'abdomen toujours rempli des mêmes granulations. Quelques jours s'écoulent pendant lesquels, avant de sortir du cocon, l'Hyménoptère essaye ses forces, achève de revêtir sa livrée, et se débarrasse, sous forme de crottins blancs, de l'acide urique qui encombrait jusqu'ici son organisation [ Pour abréger, j'ai appelé jusqu'ici acide urique ce qui, en réalité, est un urate ammoniacal, comme on peut s'en convaincre en triturant ses crottins avec de la chaux vive, ce qui produit des émanations ammoniacales fort sensibles ]. A mesure que les déjections se multiplient, on voit l'abdomen perdre graduellement ses ponctuations blanches internes ; et quand elles s'arrêtent, les ponctuations ont pour toujours disparu. L'époquede ces déjections est décisive, si l'on veut prendre la nature sur le fait dans ses opérations. Ouvrons alors l'abdomen d'un Sphex. Le tissu adipeux, tout parsemé de grains blancs d'acide urique, remplit à lui seul la majeure partie de la cavité abdominale. Le ventricule chylifique renferme uniquement et dans toute son étendue une cordelette d'une matière blanche, qu'à l'aide des réactifs on reconnaît de nature identique avec celle des granulations du corps adipeux et des crottins rejetés. Le rectum est tantôt vide et limpide, tantôt rempli de la même pulpe blanche. Par contre, les nombreux vaisseaux de Malpighi sont tous et toujours d'une limpidité parfaite, sans aucune trace de cette matière dont la couleur opaque permet de reconnaître si facilement la moindre parcelle. Voilà donc, d'une part, le tissu adipeux gorgé des produits de l'oxydation vitale ; d'autre part, le ventricule chylifique rempli de la même substance en voie d'élimination ; voilà enfin les litigieux vaisseaux de Malpighi exempts de toute trace de cette substance. Après avoir vu et revu ces faits invariables, le doute ne m'est pas possible. Le ventricule chylifique est l'organe éliminateur de l'acide urique ; dans l'insecte parfait, il fonctionne comme rein avant de fonctionner comme estomac.
Citons enfin un exemple peut-être plus frappant. J'ouvre un Sitaris humeralis, encore renfermé dans la singulière coque que je ferai connaître un jour : l'Insecte est à peine débarrassé de sa dépouille de nymphe. Le ventricule chylifique, qui plus tard doit former un tube presque tout d'une venue, est modelé maintenant d'une manière assez bizarre, sa moitié postérieure étant régulièrement cylindrique et sa moitié antérieure figurant un réceptacle pyriforme, gonflé comme un ballon. Cette ampoule temporaire est remplie d'une humeur limpide, jaune, due en grande partie à l'infiltration de l'eau nécessaire à la dissection ; en outre, un abondant sédiment blanchâtre est déposé au fond de ce réceptacle. Si le ballon est renversé sens dessus dessous, on voit le liquide se troubler par le mélange du sédiment agité, puis s'éclaircir rapidement quand les particules solides se sont de nouveau déposées. Ce sédiment, c'est encore de l'acide urique qui abonde dans le tissu adipeux environnant. Mais la moitié inférieure du ventricule chylifique, l'intestin stercoral et les quatre vaisseaux de Malpighi n'en contiennent pas un atome. Encore une fois, le doute n'est pas possible. Si les vaisseaux de Malpighi étaient vraiment des organes urinaires, une fois ou l'autre j'aurais dû trouver quelques traces de ce sédiment soit dans les vaisseaux eux-mêmes, soit dans la partie inférieure du ventricule chylifique, soit enfin dans le rectum ; ce qui ne m'est jamais arrivé, en observant l'animal avant que ses déjections aient commencé. A l'époque de ces déjections, il est évident qu'on peut en trouver dans le rectum et dans la partie inférieure du ventricule chylifique ; mais alors même on n'en trouve pas dans les prétendus vaisseaux urinaires.
Une objection m'est suggérée par un passage du précieux travail de M. L. Dufour sur l'anatomie des Scorpions [ Hist. anat. et phys. des Scorpions, p. 67 ]. Je cite le passage :« L'intestin est le réceptacle d'une pulpe fécale d'unblanc amidonné, tantôt moulée en crottins détachés, tantôt formant une masse allongée assez compacte, assez cohérente, pour s'enlever tout d'une pièce... Il n'est pas sans exemple qu'une certaine quantité de ces excréments blancs se glisse dans le ventricule chylifique lui-même. Le nom seul de ce dernier repousse l'idée d'une formation normale d'excrément dans son intérieur. C'est donc là une exception, un accident, dont on peut se rendre raison. Les violences qui précèdent ou accompagnent la mort du Scorpion peuvent déterminer des contractions brusques de l'intestin, des mouvements antipéristaltique, qui font refluer les excréments en forçant la valvule ventrico-intestinale. Il se passe alors un phénomène analogue à celui qui, dans l'homme, se produit ou par un volvulus, ou par l'oblitération partielle du gros intestin. » Des contractions désordonnées, pareilles à celles qu'invoque M. L. Dufour, n'auraient-elles pas, dans mes Sphex et mes Sitaris, fait refluer dans le ventricule chylitique l'acide urique contenu d'abord dans le rectum et les vaisseaux de Malpighi ? Il est facile de s'en assurer. Sur l'animal parfaitement en repos, je tranche, par un rapide coup de ciseaux, la partie terminale de l'abdomen, de manière à séparer le rectum et la partie insertionnelle des vaisseaux de Malpighi. J'ouvre alors le patient, et je trouve, comme toujours, le ventricule chylifique du Sphex avec sa cordelette blanche, et le ballon ventriculaire du Sitaris avec son sédiment. Le rectum et les vaisseaux de Malpighi sont d'ailleurs dans leur état de vacuité ordinaire. L'expérience est décisive :l'acide urique n'est donc pas amené fortuitement dans le ventriculechylifique, à la faveur des contractions désordonnées que lessouffrances de l'agonie provoquent dans l'animal ; il s'y trouve, au contraire, d'une manière normale, et bien qu'il répugne aux idées reçues de regarder l'organe qui doit élaborer le chyle comme servant d'abord de réceptacle aux matériaux urinaires extraits du tissu adipeux, je me vois contraint par les faits d'accorder au ventricule chylifique le rôle secondaire d'éliminateur de l'acide urique.
Avant d'en finir avec ce sujet, je dois à la vérité d'ajouter que,dans quelques Insectes à l'état parfait, dans des Cerambyx par exemple, j'ai, ainsi que l'ont fait d'autres observateurs avant moi, reconnu quelques traces presque insignifiantes d'acide urique dans les prétendus vaisseaux urinaires. Cependant, toujours est-il démontré que la masse énorme d'acide urique, dont l'animal se débarrasse après la nymphose, est éliminée par la voie du ventricule chylifique. Cela étant, que signifient ces rares atomes blancs, qu'un oeil patient découvre de temps à autre dans les vaisseaux de Malpighi, sinon que ces tubes, tout en ayant à remplir une fonction principale, peuvent secondairement, comme le fait le ventricule chylifique, servir à l'élimination de l'acide urique, à l'époque où ce même ventricule fonctionne avant tout comme organe digestif. Je suis heureux de voir les résultats de mes observations coïncider d'une manière si complète avec les savantes prévisions de M. CI. Bernard, lorsqu'il dit, à propos des appendices tubulaires de l'intestin des Insectes : « Chez les Insectes, il pourrait se faire que, des appareils urinaires analogues à ceux des Vertébrés manquant, cette élimination des matériaux de l'urine par le tube intestinal fût l'état normal, et il n'y aurait rien d'étonnant de trouver ces matériaux dans les vaisseaux caecaux, et peut-être aussi dans d'autres parties du tube intestinal [ Cl. Bernard, Recherches sur une nouvelle fonction du foie (Ann. des sc. nat. 3° série, t. XIX) ]. » Quant au rôle principal des appendices caecaux, je n'ai rien vu qui vînt infirmer les idées émises par les Cuvier, les Rhamdhor, les L. Dufour. Ainsi l'opinion la plus conforme aux faits observés est l'opinion mixte adoptée par MM. Audouin et Milne Edwards, toutefois avec la distinction établie par M. Cl. Bernard dans le mémoire cité ; c'est-à-dire que les vaisseaux de Malpighi sont des organes biliaires, dans lesquels peut avoir lieu coïncidemment l'excrétion des matériaux urinaires, excrétion qui s'opère encore, et sur une bien plus grande échelle, par la voie du ventricule chylifique.
Après cette digression motivée par l'importance du sujet, je reprends mon récit interrompu. Le dernier Grillon vient d'être dévoré, et la larve s'occupe aussitôt du tissage du cocon. En moins de deux fois vingt-quatre heures, l'oeuvre est achevée. Désormais l'habile ouvrière peut en sûreté, sous un abri impénétrable, s'abandonner à cette profonde torpeur qui la gagne invinciblement, à cette manière d'être sans nom, qui n'est ni le sommeil, ni la veille, ni la mort, ni la vie, et d'où elle doit sortir transfigurée au bout de dix mois. L'examen précédent des glandes sérifiques a pu faire soupçonner quelque complication dans le cocon qui vient d'être filé. Ce soupçon est fondé, et peu de cocons sont aussi complexes que celui-ci. On y trouve en effet, outre un lacis grossier et extérieur, trois couches distinctes figurant comme trois cocons inclus l'un dans l'autre. Examinons en détail ces diverses assises de l'édifice de soie. C'est en premier lieu une trame à claire-voie, grossière , aranéeuse, sur laquelle la larve s'isole d'abord, et se suspend, comme dans un hamac, pour travailler plus aisément au cocon proprement dit. Ce feutre incomplet, tissé à la hâte pour servir d'échafaudage de construction, est formé de fils jetés au hasard, qui relient des grains de sable, des parcelles terreuses et les reliefs du festin de la larve, les cuisses encore galonnées de rouge des Grillons, leurs pattes, leurs calottes crâniennes, etc. L'enveloppe suivante, qui est la première du cocon proprement dit, se compose d'une tunique feutrée, d'un roux clair, très fine, très souple et irrégulièrement chiffonnée. Quelques fils jetés çà et là la rattachent à l'échafaudage précédent et à l'enveloppe suivante. Elle forme une bourse cylindrique fermée de toute part, et d'une ampleur beaucoup trop grande pour le contenu, ce qui occasionne les plis de sa surface. Vient ensuite un étui élastique de dimensions notablement plus petites que celles de la bourse qui le contient, presque cylindrique, arrondi au pôle supérieur, vers lequel est tourné la tête de la larve, et terminé en cône obtus au pôle inférieur. Sa couleur est encore d'un roux clair, excepté vers le cône inférieur dont la teinte est plus sombre. Sa consistance est assez ferme : cependant il cède à une pression modérée, si ce n'est dans sa partie conique qui résiste à la pression des doigts, et paraît contenir un corps dur. En ouvrant cet étui, on voit qu'il est formé de deux couches étroitement appliquées l'une contre l'autre, mais séparables sans difficulté. La couche externe est un feutre en tout pareil à celui de la bourse précédente ; la couche interne ou la troisième du cocon est une sorte de laque, un enduit brillant d'un brun violet foncé, cassant, fort doux au toucher, et dont la nature paraît toute différente de celle du reste du cocon. On reconnaît, en effet, à la loupe, après avoir préalablement gratté sa face extérieure pour enlever les filaments appartenant à la couche externe, qu'au lieu d'être un feutre comme les enveloppes précédentes, c'est un enduit homogène d'un vernis particulier, dont l'origine est assez singulière comme on va le voir. Quant à la résistance du pôle conique du cocon, on reconnaît qu'elle est occasionnée par un tampon de matière friable d'un noir violacé où brillent de nombreuses particules noires. Ce tampon, c'est la masse desséchée des excréments rejetés en une seule fois par la larve dans l'intérieur même du cocon, ainsi que je l'ai déjà dit. C'est encore à ce lest stercoral qu'est due la nuance plus foncée du pôle conique du cocon. En moyenne, la longueur de cette demeure complexe est de 27 millimètres, et sa plus grande largeur de 9.
Revenons au vernis violacé qui enduit l'intérieur du cocon. J'ai cru d'abord devoir l'attribuer aux glandes sérifiques qui, après avoir servi à tisser la double tunique de soie et son échafaudage, l'auraient sécrété en dernier lieu. Pour me convaincre, j'ai disséqué des larves qui venaient de finir leur travail de filandières, et n'avaient pas encore commencé de déposer leur laque. A cette époque, je n'ai vu aucune trace de fluide violet dans l'appareil sérifique. Cette nuance ne se retrouve que dans le tube digestif gonflé d'une pulpe amaranthe ; on la retrouve encore, mais plus tard, dans le tampon fécal relégué à l'extrémité inférieure du cocon, hors de làtout est blanc, ou faiblement teinté de jaune. Loin de moi la pensée de vouloir faire badigeonner son cocon à la larve avec la pulpe stercorale ; cependant je suis convaincu que ce badigeon est un produit du tube digestif, et je soupçonne, sans pouvoir l'affirmer, ayant eu la maladresse de manquer à plusieurs reprises l'occasion favorable pour m'en assurer, que la larve dégorge, et applique avec la bouche la quintessence de la pulpe amaranthe du ventricule chylifique, pour former son enduit de laque. Ce ne serait qu'après ce dernier travail qu'elle rejetterait en masse les résidus de la digestion, et l'on s'expliquerait ainsi la rebutante nécessité où la larve se trouve de rejeter ses excréments dans l'intérieur même de son habitacle. Cela étant, c'est un admirable laboratoire, il faut l'avouer, que ce ventricule chylifique, qui successivement fonctionne comme appareil digestif en fabriquant du chyle, sert de complément aux glandes sérifiques en produisant le vernis violet, l'une des parties les plus essentielles du cocon, et tient enfin la place d'un rein en éliminant les matériaux urinaires. L'utilité de cette couche de laque n'est pas douteuse ; sa parfaite imperméabilité doit mettre la larve à l'abri de l'humidité, qui la gagnerait évidemment dans l'asile précaire que la mère lui a creusé. Rappelons-nous, en effet, que la larve est enfouie à quelques pouces à peine de profondeur dans un sol sablonneux et découvert. Pour juger jusqu'à quel point les cocons ainsi vernissés peuvent résister à l'accès de l'humidité, j'en ai tenus d'immergés dans l'eau plusieurs journées entières, sans jamais trouver des vestiges d'humidité dans leur intérieur.
Neuf mois s'écoulent pendant lesquels s'effectue un travail où tout est mystère. Je franchis ce laps de temps rempli par l'inconnu, et, pour arriver à la nymphe, je passe, sans transition, de la fin du mois de septembre aux premiers jours du mois de juillet suivant. La larve vient de rejeter sa dépouillle fanée ; la nymphe, organisation transitoire, ou mieux insecte parfait au maillot, attend immobile l'éveil qui doit tarder encore un mois. Ses pattes, ses antennes, les pièces étalées de sa bouche et les moignons de ses ailes, ont l'aspect du cristal le plus limpide, et sont régulièrement étendus sous le thorax et l'abdomen.Le reste du corps est blanc opaque, très légèrement lavé de jaune. Les quatre segments intermédiaires de l'abdomen portent de chaque côté un prolongement étroit et obtus d'un millimètre de longueur. Le dernier segment, terminé en dessus par une expansion lamelleuse en forme de secteur de cercle, est armé en dessous de deux mamelons coniques disposés côte à côte ; ce qui forme en tout onze appendices étoilant le contour de l'abdomen. Toute la partie antérieure du corps est complètement immobile ; mais l'abdomen exécute de vifs mouvements oscillatoires au contact stimulant de la pointe d'une aiguille. Telle est la délicate créature qui, pour devenir un Sphex, doit revêtir une livrée mi-partie noire et rouge, et se dépouiller de la fine pellicule qui l'emmaillotte étroitement. J'ai été curieux de suivre jour par jour l'apparition et les progrès de la coloration des nymphes, et d'expérimenter si la lumière solaire, cette palette féconde où la nature puise ses couleurs, pourrait influencer ces progrès. Dans ce but, j'ai extrait des nymphes de leurs cocons pour les renfermer dans des tubes de verre, dont les uns, tenus dans une obscurité complète, réalisaient pour les nymphes les conditions naturelles, et me servaient de termes de comparaison, et dont les autres, appendus contre un mur blanc, recevaient tout le jour une vive lumière diffuse. Dans ces conditions diamétralement opposées, l'évolution chromatique s'est maintenue des deux côtés dans une admirable parité ; ou bien, si quelques légères discordances ont eu lieu, c'est au désavantage des nymphes exposées à la lumière. Tout au contraire de ce qui se passe dans les plantes, la lumière n'influe donc pas sur la coloration des Insectes, ne l'accélère pas même ; et cela doit être, puisque, dans les espèces les plus privilégiées sous le rapport de l'éclat, les merveilleuses splendeurs qu'on croirait dérobées à un rayon de soleil, sont en réalité élaborées dans les ténèbres des entrailles du sol ou dans les profondeurs du tronc carié d'un arbre séculaire.
Les premiers linéaments colorés se montrent sur les yeux, dont la cornée à facettes passe successivement du blanc au fauve, puis à l'ardoisé, et enfin au noir. Les ocelles participent à leur tour à cette coloration, avant que le corps ait encore rien perdu de sa teinte neutre, le blanc. Plus fard, un trait enfumé se dessine supérieurement dans le sillon qui sépare le mésothorax du métathorax et, vingt-quatre heures après, tout le dos du mésothorax est noir. En même temps, la tranche du prothorax s'obombre, un point noir apparaît dans la partie centrale et supérieure du métathorax, et les mandibules se couvrent d'une teinte ferrugineuse. Une nuance de plus en plus foncée gagne graduellement les deux segments extrêmes du thorax, et finit par atteindre la tête et les hanches. Une journée suffit pour transformer en un noir profond la teinte enfumée de la tête et des segments extrêmes du thorax ; c'est alors que l'abdomen prend part à la coloration rapidement croissante. Le bord de ses segments antérieurs se teinte d'aurore, et ses segments postérieurs acquièrent un liseré d'un noir cendré. Enfin les antennes et les pattes, après avoir passé par des nuances de plus en plus foncées, deviennent noires ; la base de l'abdomen est entièrement envahie par le rouge orangé, et son extrémité par le noir. La livrée serait alors complète, si ce n'était les tarses et les pièces de la bouche qui sont d'un roux un peu hyalin, et les moignons des ailes qui sont d'un noir cendré. Vingt-quatre heures après, la nymphe doit rompre ses entraves. Il ne faut que de six à sept jours à la nymphe pour revêtir ses teintes définitives, en ne tenant compte des yeux, dont la coloration précoce devance d'une quinzaine de jours celle du reste du corps. D'après ce rapide aperçu, la loi de l'évolution chromatique est facile à saisir. On voit qu'en laissant de côté les yeux et les ocelles, dont la perfection hâtive rappelle ce qui a eu lieu dans les animaux vertébrés, le lieu de départ de la coloration est un point central, le mésothorax, d'où elle gagne progressivement, par une marche centrifuge, d'abord le reste du thorax, puis la tête et l'abdomen, et enfin les divers appendices, les antennes et les pattes. Les tarses et les pièces de la bouche se colorent encore plus tard, et les ailes ne prennent leur teinte qu'après être sorties de leurs étuis.
Voilà maintenant le Sphex paré de sa livrée ; il lui reste à se dépouiller de son enveloppe de nymphe. C'est une tunique très fine, exactement moulée sur les moindres détails de structure, et qui voile à peine la forme et les couleurs de l'insecte parfait. Pour préluder au dernier acte de la métamorphose, le Sphex, sorti tout à coup de sa torpeur, commence à s'agiter violemment, comme pour rappeler la vie dans ses membres si longtemps engourdis. L'abdomen est tour à tour allongé ou raccourci par des mouvements vermiculaires ; les pattes sont brusquement tendues, puis fléchies, puis tendues encore, et leurs diverses articulations roidies avec effort. L'animal, arc bouté sur la tête et la pointe de l'abdomen, sa face ventrale en dessus, distend à plusieurs reprises par d'énergiques secousses l'articulation du cou et celle du pédicule abdominal. Enfin ses efforts sont couronnés de succès, et après un quart d'heure de cette rude gymnastique, le fourreau, tiraillé de toute part, se déchire au cou, autour de l'insertion des pattes et vers le pédicule de l'abdomen, en un mot partout où la mobilité des parties a permis des dislocations assez violentes. De toutes ces ruptures dans le voile à dépouiller, il résulte plusieurs lambeaux irréguliers dont le plus considérable enveloppe l'abdomen et remonte sur le dos du thorax. C'est à ce lambeau qu'appartiennent les fourreaux des ailes. Un second lambeau enveloppe la tête. Enfin chaque patte a son étui particulier plus ou moins maltraité vers la base. Le grand lambeau, qui fait à lui seul la majeure partie de l'enveloppe, est dépouillé par les mouvements vermiculaires de l'abdomen. Par ce mécanisme il est lentement refoulé en arrière, oùil finit par former une petite pelote reliée quelque temps à l'animal par des filaments trachéens. Le Sphex retombe alors dans l'immobilité, et l'opération est finie. Cependant la tête, les antennes et les pattes sont encore plus on moins voilées. Il est évident que le dépouillement des pattes en particulier ne peut se faire tout d'une pièce à cause des nombreuses aspérités ou épines dont elles sont armées. Aussi ces divers lambeaux de pellicule se dessèchent sur l'animal, pour être détachés plus tard par le frottement des pattes. Ce n'est que lorsque le Sphex a acquis toute sa vigueur qu'il effectue cette desquamation finale en se brossant, lissant, peignant tout le corps avec les pattes. La manière dont les ailes sortent de leurs étuis est ce qu'il y a de plus remarquable dans l'opération que je viens de décrire. A l'état de moignons, elles sont plissées en zigzag dans le sens de leur longueur et très contractées. Peu de temps avant leur dépouillement normal, on peut facilement les sortir de leurs fourreaux ; mais alors elles ne s'étalent pas et restent toujours crispées. Au contraire, quand le grand lambeau dont leurs fourreaux font partie est refoulé en arrière par les mouvements de l'abdomen, on voit les ailes sortir peu à peu de leurs étuis prendre immédiatement, à mesure qu'elles deviennent libres, une étendue démesurée relativement à l'étroite prison d'où elles émergent. Elles sont alors le siège d'un afflux abondant de liquides vitaux qui les gonflent, les étalent, et doivent par la turgescence qu'ils occasionnent contribuer beaucoup à leur sortie des étuis. Récemment étalées, les ailes sont lourdes, pleines de sucs et d'un jaune paille très clair. L'afflux des liquides se fait quelquefois d'une manière irrégulière, et on voit alors le bout de l'aile appesanti par une gouttelette jaune enchâssée entre les deux feuillets.
Après s'être dépouillé du fourreau de l'abdomen qui entraîne avec lui les étuis des ailes, le Sphex retombe dans l'immobilité. La première journée de ce repos n'a rien de remarquable. Le second jour, il survient une abondante défécation de crottins blancs rejetés à intervalles assez rapprochés. Il est inutile de rappeler que ces déjections sont de l'acide urique. Le troisième jour, cette élimination des matériaux urinaires est à peu près terminée, car le tissu adipeux a presque entièrement perdu ses granulations blanches. Les ailes ont dans cet intervalle pris leurs nuances normales, les tarses se sont colorés, et les pièces de la bouche, d'abord étalées, ont pris la position voulue. Après vingt-quatre jours passés à l'état de nymphe, l'animal a atteint sa perfection ; il déchire le cocon qui le retient captif, s'ouvre un passage à travers le sable, et apparaît un beau matin, sans en être ébloui, à la lumière qui lui est encore inconnue. Inondé de soleil, le Sphex brosse ses antennes et ses ailes, passe et repasse ses pattes sur l'abdomen, se lave les yeux avec les tarses antérieurs préalablement humectés avec la bouche, comme le font les Chats ; et, sa toilette finie, il s'envole joyeux : il a deux mois à vivre.
source : Annales des Sciences Naturelles et de Zoologie, Paris, 1855.