CHAPITRE II
Un des traits les plus curieux de l'histoire des Chilognathes, ainsi que des autres Myriapodes, a rapport à la manière dont ces animaux se développent, et acquièrent, en avançant en âge, un nombre plus grand de segments, de pattes, d'yeux et d'articles antennaires. D'abord observé par De Geer (1), ce développement insolite a été étudié par MM. P. Savi (2), P. Gervais (3), Newport (4), Waga (5). Cependant, malgré les recherches de ces habiles physiologistes, l'histoire de ce développement est encore loin d'être complète. Deux années d'observations suivies me permettent de joindre quelques faits nouveaux à ceux qu'on a déjà recueillis.
Polydesmus complanatus.
N'ayant pu obtenir de ponte en captivité, je ne connais pas l'éclosion de l'oeuf. Mes observations ont été faites sur des jeunes que j'ai trouvés vivant en famille sous l'écorce d'un morceau de bois à demi pourri, et couvert de quelques pouces de terre.
Les plus petits ont 3/4 de millimètre environ de longueur. Leur couleur est d'un blanc pur. Les segments sont au nombre de sept, non compris la tête, et les pattes au nombre de trois paires. MM. Waga et P. Gervais avaient déjà observé le même fait. Chacune de ces paires de pattes est portée sur un segment différent ; elles correspondent donc aux trois premières paires qui, chez l'adulte, sont également disposées une à une sur trois segments différents, aussi bien chez le mâle que chez la femelle. Les trois segments pédigères sont le premier, le troisième et le quatrième. Enfin les antennes ne sont formées que de quatre articles. Ce stade d'évolution paraît être le premier, si toutefois il n'y a pas un stade apode pareil à celui des Iules.
Avec ces jeunes, s'en trouvent d'autres un peu plus développés, et comme je ne trouve aucune forme intermédiaire, ces derniers doivent avoir atteint le second degré de leur évolution. Leur couleur est encore d'un beau blanc, et leur longueur mesure 1 millimètre 1/3. Les segments sont au nombre de neuf, non compris la tête, et les pattes, au nombre de six paires. Les trois nouvelles paires sont portées, deux par le cinquième segment, et l'autre par le sixième. Or, à l'état adulte, le sixième segment, dans les deux sexes, porte toujours deux paires de pattes. Ce segment est donc remarquable entre tous les autres, parce que ses deux paires de pattes n'apparaissent pas simultanément, mais l'une après l'autre, à deux stades consécutifs du développement. M. P. Gervais a encore observé ce degré dévolution ; mais, de ce que le sixième anneau ne porte qu'une paire de pattes, il déduit que l'individu observé fût devenu un mâle. Il n'en est rien ; les deux sexes présentent la même particularité, et il est impossible, à cette période, de les distinguer. L'erreur de M. P. Gervais tient à ce qu'il place les organes copulateurs, ou forcipules génitales, comme il les appelle, sur le sixième anneau, tandis qu'ils sont sur le septième.
Au troisième stade, le jeune Polydesme a 2 millimètres de longueur. C'est actuellement que les deux sexes se distinguent l'un de l'autre, non à cause des organes copulateurs qui ne se développent pas encore, mais à cause de la répartition des palles sur le septième segment. Les segments sont au nombre de douze, les pattes au nombre de onze paires chez les femelles, de dix paires chez les mâles. Le sixième anneau a acquis, chez les deux sexes, sa seconde paire de pattes ; le septième en porte deux paires chez la femelle, une seule paire chez le mâle. Les anneaux 9, 10, 11 et 12, ou anal, sont apodes.
Pour ne pas entrer dans des détails fastidieux, je mets sous forme de tableau les divers degrés ou stades d'évolution. Chaque ligne horizontale donne le nombre de segments développés et le nombre de pattes. 1 signifie une paire de pattes pour l'anneau correspondant ; 2, deux paires ; 0, anneau apode ; A, anneau anal. La colonne verticale 7 porte le double signe 1/2, qui signifie une paire de pattes chez le mâle, deux paires chez la femelle. La lettre C désigne les organes copulateurs.
Tableau du développement du Polydesmus complanatus. |
STADES | LONGUEUR | NUMERO D'ORDRE DES SEGMENTS, NON COMPRIS LA TETE |
1 | 2 | 3 | 4 | 5 | 6 | 7 | 8 | 9 | 10 | 11 | 12 | 13 | 14 | 15 | 16 | 17 | 18 | 19 | 20 | ||
1er | .5 | 1 | 0 | 1 | 1 | 0 | 0 | A | |||||||||||||
2ème | 1.5 | 1 | 0 | 1 | 1 | 2 | 1 | 0 | 0 | A | |||||||||||
3ème | 2 | 1 | 0 | 1 | 1 | 2 | 2 | .5 | 2 | 0 | 0 | 0 | A | ||||||||
4ème | 3.5 | 1 | 0 | 1 | 1 | 2 | 2 | .5 | 2 | 2 | 2 | 2 | 0 | 0 | 0 | A | |||||
5ème | 4.5 | 1 | 0 | 1 | 1 | 2 | 2 | .5 | 2 | 2 | 2 | 2 | 2 | 2 | 2 | 0 | 0 | A | |||
6ème | 5 | 1 | 0 | 1 | 1 | 2 | 2 | .5 | 2 | 2 | 2 | 2 | 2 | 2 | 2 | 2 | 2 | 0 | A | ||
7ème | 12 | 1 | 0 | 1 | 1 | 2 | 2 | .5 | 2 | 2 | 2 | 2 | 2 | 2 | 2 | 2 | 2 | 2 | 0 | A | |
8ème | 20 | 1 | 0 | 1 | 1 | 2 | 2 | .5 | 2 | 2 | 2 | 2 | 2 | 2 | 2 | 2 | 2 | 2 | 2 | 0 | A |
Le passage d'un stade à l'autre ne se fait pas évidemment d'une manière brusque. C'est ainsi que le quatrième, par exemple, qui est terminé par OOOA, est précédé par des degrés intermédiaires où le corps se termine par OA ou par OOA Je n'ai jamais vu cependant A immédiatement précédé par des anneaux pédigères ; je n'ai jamais vu non plus les pattes en nombres différents de ceux que je viens de donner. Ainsi les nouvelles pattes qui apparaissent à chaque stade se développent simultanément. Après l'apparition de ces nouvelles pattes et des nouveaux segments apodes l'évolution subit un temps d'arrêt considérable pendant lequel l'animal grossit, mais sans acquérir de nouveaux segments ou de nouveaux appendices. Ces temps d'arrêt forment les limites des périodes que j'ai appelées stades.
Plusieurs choses sont à remarquer dans le tableau précédent : 1 Chaque nouvel anneau apparaît entre l'avant-dernier et l'anneau anal.
2 Tous les anneaux apodes d'un stade deviennent pédigères au stade suivant.
3 Les nouvelles paires de pattes acquises à chaque stade sont successivement au nombre de 3, 3, 1/3, 6, 6, 4, 2, 2 ; série d'abord croissante qui atteint un maximum aux deux stades moyens, puis décroît en suivant à peu près une même loi, mais inverse. C'est lorsque la série devient décroissante que l'animal marche le plus rapidement vers les dimensions de l'état adulte.
4 Les organes copulateurs du mâle ne se développent qu'en dernier lieu, lorsque toutes les pattes et tous les segments de l'état adulte sont formés. Avant leur apparition on reconnaît leur place future à une aréole ovalaire, divisée par un profond sillon longitudinal en deux moitiés légèrement saillantes. Cette aréole est plus lisse, plus luisante que le reste de la face ventrale du septième anneau.
lulus aterrimus.
Le développement des Iules a été observé par MM. De Geer, Savi P. Gervais, Newport et Waga. Je rapporterai cependant mes observations qui, ayant peur sujet une espèce différente, pourront servir à corroborer les résultats déjà obtenus.
Ayant recueilli au mois d'août une centaine lulus aterrimus, j'ai été témoin, vers les premiers jours de septembre, de l'accouplement que j'ai décrit plus haut. La ponte s'opère vers la fin du même mois. La femelle enfouit ses oeufs dans la terre, et les réunit en un seul tas ; ces oeufs, faiblement agglutinés entre eux, sont arrondis et d'un blanc sale. Une quinzaine de jours après a lieu l'éclosion. L'enveloppe de l'oeuf se fend suivant un grand cercle, et se sépare en deux calottes encore adhérentes entre elles par un point de leurs bords. L'oeuf se vide ainsi, non d'un jeune Iule hexapode, comme le dit De Geer et comme le veut M. P. Gervais (6), malgré l'opinion contraire de MM. P. Savi le Newport, qui ont vu que les Iules naissent apodes, mais bien d'un corps singulier entièrement dépourvu de tout organe appendiculaire, et ne rappelant en rien la forme des Iules. Ce corps est réniforme, profondément excavé en dessous, convexe en dessus, gros et arrondi à une de ses extrémités, un peu effilé et conique à l'autre. Sa surface est lisse, luisante et d'un blanc pur. Aucun mouvement ne s'y manifeste, pas même lorsqu'on le pique avec la pointe d'une aiguille. Je le nommerai corps pupoïde, parce que, s'il était précédé par l'état transitoire de larve, il rappellerait assez bien les pupes des Insectes hexapodes.
Cinq jours après on voit assez distinctement des traces de segmentation dans la partie convexe, et, dans l'épaisseur du bout renflé, on commence à distinguer la tête repliée contre l'abdomen. Enfin, sept à huit jours après, ces corps pupoïdes se fendent, et le jeune animal se dépouillant, de la tête à la queue, de la tunique délicate qui l'emprisonne, apparaît tel que l'a vu De Geer, et traînant encore quelque temps, appendue à ses derniers anneaux, l'enveloppe ridée dont il vient de se débarrasser.
15 octobre. Nouvellement éclos, le jeune Iule a 1 1/2 millimètre de longueur. Il est complètement blanc, formé de sept segments, non compris la tête, et pourvu de trois paires de pattes. Ces trois paires sont portées une à une par un segment différent et correspondant aux trois premières paires, qui offrent la même disposition chez l'adulte. Les antennes, courtes mais grosses relativement à l'animal, sont composées de quatre articles. Une toute petite tache ferrugineuse, première ébauche de l'organe de la vue, se dessine de chaque côté de la tête. Un ou deux jours après, le sixième segment est marqué sur chaque flanc d'un point rougeâtre correspondant à la première vésicule où se forme le liquide roux à odeur de chlore que l'Iule fait distiller de ses flancs pour sa défense. C'est, en effet, sur le sixième segment de l'adulte que commence la double rangée de ces glandules latérales, et des pores qui en déversent le produit. Graduellement, entre le segment peint de deux points roux et l'anneau anal, il naît d'abord un, puis deux, trois, etc., segments nouveaux, en même temps que le cinquième et le sixième acquièrent chacun deux paires de pattes, dont la première trace consiste en aréoles circulaires, disposées quatre par quatre sur chacun de ces deux segments.
20 octobre. Lorsque ces quatre nouvelles paires de pattes sont complètement formées, le jeune Iule a 2 millimètres de longueur, douze segments et sept paires de pattes. Les antennes ont acquis tout leur développement, et sont composées de six articles comme chez l'adulte. Il n'y a qu'un oeil de chaque côté, en forme de petit point arrondi, luisant et d'un noir intense. citez l'adulte, j'en ai compté jusqu'à quarante-quatre pour chaque côté. Enfin le corps a perdu sa teinte d'un blanc mat ; les six premiers segments sont légèrement enfumés ; les autres, de formation plus récente, sont hyalins. Quelques jours après, les cinq :anneaux apodes acquièrent sur chaque flanc une tache rousse ; et, à leur suite, entre le dernier d'entre eux et l'anneau anal, il apparaît d'abord un, puis deux, trois, quatre, et enfin six nouveaux segments, qui se distinguent des précédents par leur teinte hyaline et l'absence des deux points roux. Lorsque ce nombre est atteint, les cinq derniers anneaux à taches rousses ont acquis chacun deux paires de pattes chez les femelles. Chez les mâles, les quatre derniers seuls deviennent pédigères, le premier d'entre eux, ou le septième de toute la série, devant fournir plus tard les organes copulateurs, et par suite restant apode.
13 novembre. Le jeune Iule est alors formé de dix-huit anneaux, et porte quinze ou dix-sept paires de pattes, suivant le sexe. Les yeux sont au nombre de trois, et disposés en triangle ; les deux nouveaux sont plus petits que l'oeil primitif, et placés un peu plus eu avant. Tous les trois sont arrondis, noirs, brillants, nettement distincts l'un de l'autre.
24 novembre. Un nouveau segment s'est intercalé entre l'anneau anal et le dernier segment apode de la forme précédente, de manière que le corps est terminé par sept anneaux apodes, non compris l'anneau anal. De ces sept anneaux, les six premiers portent bilatéralement une tache rousse encore très faible : le dernier n'offre rien de pareil.
Mes jeunes Iules ayant tous péri en proie aux Acarus, mes observations éprouvent ici une interruption. On peut cependant déterminer le nombre de pattes de l'Iule au stade suivant. Nous avons vu, en effet, qu'à la suite des segments marqués de deux points roux, il en naissait d'abord un certain nombre qui ne présentaient point ce caractère, et qu'enfin les nouvelles pattes apparaissaient exclusivement sur les segments munis de ces points ; de sorte qu'an commencement de chaque stade, le dernier segment pédigère était aussi le dernier dont les flancs fussent marqués de ce signe. Les individus observés à la fin de novembre ont six anneaux apodes à tache rousse, suivis d'un septième qui n'a pas ce caractère. Il se serait donc encore développé un certain nombre de segments pareils à ce dernier ; puis les six, maculés de roux, seraient devenus pédigères, et l'animal aurait en 27-29 paires de pattes, suivant le sexe. Cela résulte encore de ce que les segments apodes, contemporains d'une formation de pattes, deviennent tous et exclusivement pédigères à la formation suivante. Quant aux ocelles et aux nouveaux segments apodes, rien ne peut m'en faire soupçonner le nombre. Pris à leur début, les cinq premiers stades de l'évolution de l'Iulus aterrimus sont donc ainsi caractérisés :
1er stade : Corps pupoïde, réniforme, sans appendices, sans traces de segmentation, sans mouvement.
2e stade : 7 segments non compris la tête; 3 paires de pattes ; antennes de 4 articles ; une tache oculaire diffuse, rougeâtre.
3e stade : 12 segments ; 7 paires de pattes ; antennes de 6 articles ; un oeil de chaque côté.
4e stade : 18 segments ; 15, 17 paires de pattes ; 3 ocelles de chaque côté.
5e stade : 27, 29 paires de pattes.
Au mois d'août, j'ai repris mes recherches sur le développement de cette espèce. Observé à celle époque, l'Iulus aterrimus présente deux formes parfaitement reconnaissables à leur coloration différente. Les plus jeunes ont de chaque côté une raie noire, formée par une série de gros points noirs correspondant aux pores par où suinte l'humeur à odeur de chlore. Ces points commencent lui sixième anneau et finissent toujours sur le dernier anneau pédigère, ce qui continue pleinement ce qui a été déjà dit au sujet des segments peints de deux points roux. Enfin, sur toute la longueur du dos, règne une bande très pâle.
Les autres sont d'un noir intense. Chez ceux-ci également, les pores latéraux finissent sur le dernier anneau pédigère.
Les premiers ont de 43 à 48 segments, dont les 4 derniers sont toujours apodes ; les mâles n'ont pas encore leurs organes copulateurs, ni les femelles, des ovules.
Les seconds ont de 47 à 52 segments, dont les 2 derniers seulement sont apodes. Les mâles ont leurs organes copulateurs parfaitement visibles, et les femelles, leurs ovaires remplis d'ovules mûrs.
Les premiers doivent appartenir à la génération de l'année précédente ; les seconds sont plus vieux d'une année, ou même davantage.
Le fait le plus important qui résulte de cet examen, c'est que l'Iulus aterrimus n'acquiert la forme adulte et ne devient apte à la reproduction qu'au bout de deux ans. Son corps est alors d'un noir profond, et composé au moins de 47 anneaux, dont les deux derniers seuls apodes. Maintenant, comment se rendre compte des variations du nombre des segments de l'adulte, depuis 47 jusqu'à 52 ? Faut-il admettre que, même pendant la période adulte, leur nombre peut s'accroître, et passer successivement, suivant l'âge, de 47 à 48, 49, etc. ? Je ne le pense pas. La forme adulte doit être essentiellement stable, et, par une sorte de balancement génésique, la procréation de l'espèce doit mettre un terme à la formation de nouvelles zoonites chez l'individu. D'ailleurs n'avons-nous pas vu, chez les Polydesmes, toute formation de nouveaux segments cesser brusquement et pour toujours à l'apparition des organes sexuels ? J'aime mieux voir, dans ces variations, une suite des variations que présentent les Iules à teinte pâle, dont le nombre de segments oscille entre 43 et 48. Quant à ces dernières, elles doivent provenir de la formation de nouveaux segments en nombre plus ou moins inégal, suivant les individus, pour chaque stade de l'évolution. Le Polydesmus complanatus est remarquable, il est vrai, par la fixité de l'accroissement qui caractérise chaque stade ; mais il n'y a rien d'étonnant si les Iules, dont les segments sont beaucoup plus nombreux, ne présentent pas cette fixité. Les variations doivent surtout se présenter aux stades où il se développe le plus d'anneaux ; j'ai pu cependant en constater quelques-unes, même chez les plus jeunes Iules. C'est ainsi que je trouve dans mes notes des exemples d'Iules femelles avec quinze paires de pattes au lieu de dix-sept. Il manquait donc ici le onzième segment.
D'après M. P. Savi, deux ans après leur naissance, les Iules subissent une mue, et c'est alors seulement que se montrent au dehors les organes de la génération. Mes observations m'ont conduit au même résultat : l'Iule devient peu à peu d'un blanc mat, puis ses téguments se fendent longitudinalement sur le dos, et il sort de cette enveloppe vieillie avec une coloration du plus beau noir. Après la mue, les deux derniers segments sont seuls apodes, tandis que la dépouille rejetée a ses quatre derniers apodes. Outre cette mue, qui amène l'Iule à la forme adulte, M. P. Savi en admet d'autres, précédant chaque nouvelle formation de pattes et de segments. De Geer admet également que ces formations doivent être précédées d'un changement de peau. L'espèce que j'ai étudiée ne m'a rien présenté de pareil. Pendant plusieurs mois, j'ai suivi avec un vif intérêt l'évolution de mes jeunes Iules éclos en captivité, et, malgré mes observations assidues, répétées même plusieurs fois par jour, je n'ai jamais été témoin d'un changement de peau. Les Chilopodes, dans leur développement, ne m'en ont pas offert davantage. Il n'y a pour moi de démontrées que deux mues : la première, lorsque l'Iule rejette son enveloppe en abandonnant la forme pupoïde ; la seconde, lorsqu'il acquiert sa forme définitive, et qu'il devient adulte. Ces changements de peau s'opèrent donc lors du passage de l'une à l'autre des trois périodes dont se compose la vie de l'Iule, et qui sont :
1) La période pupoïde, dont la durée est d'une semaine.
2) La période évolutive, pendant laquelle l'Iule acquiert successivement de nouvelles zoonites ; sa durée est de deux ans.
3) La période adulte employée à la reproduction de l'espèce, et pendant laquelle cesse la formation de nouvelles zoonites. Sa durée m'est inconnue ; elle doit cependant embrasser plusieurs années, car j'ai déjà conservé pendant deux ans les mêmes Iules adultes.
Glomeris marginata.
On doit à M. P. Gervais une note intéressante sur le développement de cette espèce. Cet observateur a constaté que chaque oeuf est isolé, et enveloppé dans une petite boule de terre ; que le jeune Glomeris, à son éclosion, a moins d'articles aux antennes et au corps que n'en ont les adultes, et qu'il n'a que trois paires de pattes.
C'est au commencement de juillet qu'a lieu l'éclosion ; chaque jeune est alors enfermé au centre d'une boulette ovoïde de terre de 2 à 3 millimètres de diamètre. Il est roulé en boule, et n'exécute aucun mouvement. Ainsi roulé, il mesure environ 1 millimètre. Sa couleur est d'un beau blanc de lait. En tirant le jeune Glomeris du fond de son berceau, on est frappé de son immobilité ; a peine lui voit-on exécuter quelques faibles mouvements, tendant a entr'ouvrir ou à resserrer la sphère qu'il forme en s'enroulant.
Les anneaux du corps, non compris la tête, sont au nombre de sept ; les pattes au nombre de trois paires. Les antennes sont composées de quatre articles. Enfin les yeux sont formés de trois petits points rougeâtres, disposés en triangle de chaque côté.
En cet état, il séjourne encore quelque temps au fond de sa boule de terre Dans cet intervalle, il lui vient cinq autres paires de pattes, et un nouveau segment s'ajoute aux sept premiers ; il a alors huit paires de pattes et huit segments. Mais les yeux et les antennes ne subissent encore aucun changement : les premiers sont toujours au nombre de 3, et les secondes sont composées de quatre articles, comme au sortir de l'actif. En même temps, la couleur laiteuse du corps disparaît peu à peu, surtout dans la région dorsale, qui devient hyaline, et permet de voir par transparence le tube digestif formant une anse brunâtre ; c'est alors que le jeune abandonne sa boulette de terre, et en sort par un trou rond qu'il y pratique lui-même.
Ce globule n'est pas simplement une demeure construite par la prévoyance des parents pour abriter le jeune au sortir de l'oeuf. En grande partie formé de matières végétales décomposées, il constitue aussi un magasin de vivres analogue aux boules que la merveilleuse industrie des Ateuchus, des Copris et autres Scarabées, sait façonner avec d'immondes matériaux. Le long séjour que le jeune Glomeris fait dans ce berceau ; le développement avancé qu'il y acquiert ; la cavité spacieuse qu'il s'y creuse, sans y laisser de débris ; enfin les matières brunâtres qui remplissent son intestin, lorsqu'il l'abandonne, tout démontre qu'il se nourrit quelque temps aux dépens des parois mêmes de sa boulette natale. Les pattes supplémentaires du mâle, surtout celles de la dernière paire, servent apparemment de larges et vigoureuses palettes pour pétrir l'humus, et le rouler en globule autour de chaque oeuf, à mesure que la femelle opère sa ponte.
Mes jeunes Glomeris étant morts quelque temps après, je n'ai pu continuer le journal de leur développement.
Polyxenus lagurus.
De Geer a fait connaître en partie le développement de cette espèce (7). Mes observations, complétées par celles que nous devons à cet habile investigateur, embrassent toutes les formes dont se compose l'évolution de ce Myriapode en miniature.
1er stade. 3 anneaux en dessus, non compris la tête ; 3 paires de pattes (De Geer).
Il manque probablement ici l'énumération du segment anal qui est très court, et enseveli sous son pinceau de poils blancs, ce qui porterait à quatre le nombre des anneaux.
2e stade. Longueur, 1 millimètre ; 6 anneaux en y comprenant l'anal ; 6 paires de pattes. Un petit point rougeâtre, première ébauche des yeux, de chaque côté de la tête. De Geer, qui a aussi observé cette forme, n'a compté que 5 anneaux, toujours apparemment en négligeant l'anneau anal.
3e stade. 8 anneaux; 8 paires de pattes. L'appareil oculaire est dans le même état que précédemment.
4e stade. 9 anneaux ; 10 paires de pattes. Les yeux n'ont pas changé.
5e stade. 8 anneaux ; 12 paires de pattes (De Geer). Je n'ai pas observé cette forme ; le nombre des anneaux doit être de 9 leur les mêmes raisons que précédemment.
6e stade. Longueur, 2 millimètres ; 10 anneaux; 13 paires de pattes ; deux points oculaires rougeâtres et diffus de chaque côté ; pénis du mâle très saillant. La couleur n'a pas encore varié ; elle est constamment restée d'un beau blanc. Mais sans acquérir de nouveaux segments, ni de nouvelles pattes, le Polyxène change graduellement de teinte, et devient grisâtre. En même temps, les ocelles se multiplient et se perfectionnent. Dans l'adulte, j'ai compté de chaque côté 5 ocelles très petits, noirs, luisants, et très rapprochés.
Les plus grands Polyxènes observés par de Geer n'avaient que 12 paires de pattes. Cette forme a été prise pour la forme adulte, et, dans tous les ouvrages descriptifs, on trouve leur caractère de ce Myriapode 12 paires de pattes. J'en ai cependant reconnu 13 paires aux adultes, tant mâles que femelles.
Notes
- Mémoires pour servir à l'histoire naturelle des Insectes.
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- Isis, 1823.
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- Ann. des sc. nat., 2ème série, t. VIl, et 3ème série, t. II.
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- On the organs of reproduction and the développement of Myriapoda, dans les Philosoph. Transact.
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- The Cyclopoedia of anat. and phys. de Todd.
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- Ann. des sc. nat., 3ème série, t. Il.
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- Observations sur une espèce singulière de Millepieds ou Scolopendre (Acad. des sc., Savants étrangers, 1750).
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