LA CHUSCLO E L'AMELIEL'EUPHORBE ET L'AMANDIER
II
De la som de l'ivèr, tant dur à la pauriho,De la torpeur de l'hiver, si rude pour les pauvres,
La chusclo adeja se reviho,l'euphorbe déjà se réveille,
E nasejo crentouso à travès li rountauet craintive, elle montre le nez à travers les broussailles
Pèr vèire aperaqui, malignouso avisado,pour voir à son entour, malicieuse avisée,
Se soun finido li jaladosi les gelées blanches et les bises
E li cisampo di coutau.des coteaux sont finies.
Tant que, dins lou cèu blu, de nèblo cremesinoTant que, dans le ciel bleu, des nuées cramoisies
Couvon de sero la plouvino,couvent le soir la gelée blanche,
Tant que soun pas creba li boufet de la fre,tant que ne sont pas crevés les soufflets du froid,
Prudènto, n'auso pas, bessai trop lèu vengudo,prudente, elle n'ose pas, peut-être trop tôt venue,
Desplega sa pousso croucudodéployer sa pousse crochue
E releva soun pecou dre.et relever sa tige droite,
Mai, dins un clapeiroun que dounara téulissoMais, dans un tas de pierres qui donnera toiture,
A si flour negrasso et pudisso,à ses fleurs noirâtres et puantes,
Front clin, atènd, li pèd à la calo d'un liéfront penché, elle attend, les pieds dans une couche
De lausiho. Pamens, óublidous de prudènço,de menues pierrailles. Cependant, oublieux de prudence,
Vejo-eici que subran coumençovoici que soudain commence
L'estrambord fòu de l'amelié.le fol enthousiasme de l'amandier.
Sian febrié ; fai bon e fara fre tout-aro ;Nous sommes en février ; il fait bon et tout à l'heure il fera froid ;
Lou soulèu ris, pièi se mascaro,le soleil rit, et puis se couvre ;
S'escound, revèn, s'amosso. Alor, de si boutoun,il disparaît, revient, s'éteint. Alors, de ses boutons,
L'amélié, lou pressa, desplego li dentello,l'amandier, le pressé, déploie les dentelles ;
En coumunianto s'emmantelloil se voile en communiante,
E se fai nivo de coutoun.il se fait nuage de coton.
Mousselino d'argènt que farié, dins sa glòri,Mousseline d'argent qui, dans sa gloire,
Negreja lou blanc de l'ivòri,éclipserait le blanc de l'ivoire,
E n'a, pèr lou trelus, d'egalo que la néu,et qui, pour l'éclat n'a d'égale que la neige,
Velout de paradis, duvet toumba de l'alovelours de paradis, duvet tombé de l'aile
De l'ange qu'en terro davalo,de l'ange qui descend sur la terre,
Ié fan meravihous mantèu.lui font merveilleux manteau.
E quand tòuti li flour blanco soun espandido,Et quand toutes les fleurs blanches sont épanouies,
Quand la tèsto s'es arroundidoquand la tête s'est arrondie
En doumo que fernis à l'alen dóu matin,en dôme qui frissonne à la brise du matin,
Rèn de tant bèu ! Dirias alor uno assembladorien d'aussi beau ! On dirait alors une assemblée
De fado ufanouso campadode fées magnifiques campées
Souto de tèndo de satin.sous des tentes de satin.
IIII
Es majo fèsto dóu campèstre.C'est la grande fête des champs.
Mai qu'es eiçò ? Sauvage mèstre,Mais qu'est ceci ? Sauvage maître,
Lou vènt-terrau se lèvo, enrabia, jaladis ;le mistral se lève, furieux, glacial ;
E siblo, rounflo, chaplo, estrasso,il siffle, ronfle, met en pièces, écrase,
Estripo, tord lou còu, matrasso.déchire, tord le cou, meurtrit.
Adiéu li flour d'argènt, li flour de paradis !Adieu les fleurs d'argent, les fleurs de paradis !
Que n'en disès ? Es pas vergougno,Qu'en dites-vous ? N'est-ce pas une honte,
Quand lou gusas de vènt s'empougno,quand le gueusard de vent s'attaque,
Éu que fai barrula li code de la Crau,lui qui fait rouler les cailloux de la Crau,
A la galanto capelinoà l'élégante capeline
De satin blanc e mousselinode satin blanc et mousseline
De l'amalié ? Segnour, gardas-nous dóu mistrau !de l'amandier ? Seigneur, préservez-nous du mistral !
Fòu generous, ti flour tant frescoFou généreux, tes fleurs si fraîches,
Ounte s'amassavon li brescooù s'amassaient les rayons de miel
D'un fum d'abiho, e que cresiés faire bressad'une nuée d'abeilles, et que tu croyais faire bercer
Pèr l'alen amistous de l'auro,par le souffle amical de la brise,
Toumbon en douliho, li pauro.elles tombent en loques, les pauvres.
Ah ! te l'aviéu bèn di que t'ères trop pressa !Ah ! je te l'avais bien dit : trop pressé tu étais !
Enterin, la chusclo, en soun caire,Cependant, l'euphorbe, en son coin,
Dóu marrit tèms s'enquièto gaire ;du mauvais temps ne s'inquiète guère ;
Atènd, la mesfisènto ; e soun gréu rouginas,elle attend, la méfiante ; et sa pousse rougeaude,
Que souto li fueio pendoulo,qui pend sous les feuilles,
Tant que lou vènt-terrau gingoulo,tant que le mistral hurle,
En deroulant sa crosso aussara pas lous nas.ne haussera pas le nez en déroulant sa crosse.
L'amalié sara sènso amelo ;L'amandier sera sans amandes ;
Nouvè, sènso nougat ; mai elo,la Noël, sans nougat ; mais elle,
Gounflo d'aspre lachun que plouro de si nous,gonfle d'âpre laitage qui pleure de ses noeuds,
En pas espandira la tèstoen paix elle épanouira la tête,
E de bèu jour aura de rèstoet de beaux jours elle aura de reste
Pèr fin d'amadura si cruvèu verinous.afin de mûrir ses coques vénéneuses.