Jean-Henri FABRE 

Oubreto prouvençalo dóu Felibre di Tavan


LA CIGALO E LA FOURNIGOLA CIGALE ET LA FOURMI


II


Jour de Diéu, queto caud ! Bèu tèms pèr la cigaloJour de Dieu, quelle chaleur ! Beau temps pour la cigale

Que, trefoulido, se regaloqui, folle de joie, se régale

D'un raisso de fiò ; bèu tèms pèr la meissoun.d'une averse de feu ; beau temps pour la moisson.

Dins lis erso d'or, lou segaire,Dans les vagues d'or, le moissonneur,

Ren plega, pitre au vènt, rustico e canto gaire :reins ployés, poitrine au vent, travaille dur et ne chante guère :

Dins soun grousié, la set estranglo la cansoun.dans son gosier, la soif étrangle la chanson.


Tèms benesi pèr tu. Dounc, ardit ! cigaleto,Temps béni pour toi. Donc, hardi ! cigale mignonne,

Fai-lèi brusi, ti cimbaleto,fais-les bruire, tes petites cymbales,

E brandusso lou vèntre à creba ti mirau.et trémousse le ventre à crever tes miroirs.

L'ome enterin mando la daio,L'homme cependant lance la faux,

Que vai balin-balan de-longo e que dardaioqui continuellement oscille et fait rayonner

L'uiau de soun acié sus li rous espigau.l'éclair de son acier sur les roux épis.


Plen d'aigo pèr la pèiro e tampouna d'erbiho,Pleine d'eau pour la pierre et tamponnée d'herbages,

Lou coufié sus l'anco pendiho.la cuvette pendille sur la hanche.

Se la pèiro es au fres dins soun estui de bos,Si la pierre est au frais dans son étui de bois.

E se de-longo es abéurado,si elle est sans cesse abreuvée,

L'ome barbèlo au fiò d'aquéli souleiadol'homme halète au feu de ces coups de soleils

Que fan bouli de-fes la mesoulo dis os.qui font bouillir parfois la moelle des os.


Tu, cigalo, as un biais pèr la set : dins la ruscoToi, cigale, tu as une ressource pour la soif : dans l'écorce

Tèndro e justouso d'uno busco,tendre et juteuse d'un rameau,

L'aiguïo de toun bè cabusso e cavo un pous.l'aiguille de ton bec plonge et fore un puits.

Lou sirop mounto pèr la draio.Le sirop monte par l'étroite voie.

T'amourres à la font melicouso que raio,Tu t'abouches à la fontaine mieilleuse qui coule,

E dóu sourgènt sucra beves lou teta-dous.et du suintement sucré tu bois l'exquise lampée.


Mai pas toujour en pas, oh ! que nàni : de laire,Mais pas toujours en paix, oh ! que non : des larrons,

Vesin, vesino o barrulaire,voisins, voisines ou vagabonds,

T'an vist cava lou pous. An set ; vènon doulèntt'ont vue creuser le puits. Ils ont soif ; ils viennent, dolents,

Te prene un degout pèr si tasso.te prendre une goutte pour leurs tasses.

Mesfiso-te ma bello : aquéli curo-biasso,Méfie-toi, ma belle : ces vide-besace,

Umble d'abord, soun lèu de gusas insoulènt.humbles d'abord, sont bientôt des gredins insolents.


Quiston un chicouloun de rèn, pièi de ti rèstoIls quêtent une gorgée de rien ; puis de tes restes

Soun plus countènt, ausson la tèstoils ne sont plus satisfaits, ils relèvent la tête

E volon tout : l'auran. Sis arpioun en rastèuet veulent le tout : ils l'auront. Leurs griffes en râteau

Te gatihon lou bout de l'alo.te chatouillent le bout de l'aile.

Sus ta largo esquinasso es un mounto-davalo ;Sur ta large échine, c'est un monte-descend ;

T'aganton pèr lou bè, li bano, li artèu.ils te saisissent par le bec, les cornes, les orteils.


Tiron d'eici, d'eila. L'impaciènci te gagno.Ils tirent d'ici, de là. L'impatience te gagne.

Pst ! pst ! d'un giscle de pissagnoPst ! pst ! d'un jet d'urine

Asperjes l'assemblado e quites lou ramèu.tu asperges l'assemblée et tu quittes le rameau.

T'en vas bèn liuen de la racaio,Tu t'en vas bien loin de la racaille

Que t'a rauba lou pous, e ris, e se gaugaio,qui t'a dérobé le puits, et rit, et se gaudit,

E se lipo li brego enviscado de mèu.et se lèche les lèvres engluées de miel.


Or, d'aquéli bóumian abéuro sèns fatigo,Or, de ces bohémiens abreuvés sans fatigue,

Lou mai tihous es la fournigo.le plus tenace est la fourmi.

Mousco, cabrian, guèspo e tavan embana,Mouches, frelons, guêpes, scarabées cornus,

Espeloufi de touto meno,aigrefins de toute espèce,

Costo-en-long qu'à toun pous lou souleias ameno,fainéants qu'à ton puits le gros soleil amène,

An pas soun testardige à te faire enana.n'ont pas son entêtement à te faire partir.


Pèr t'esquicha l'artèu, te coutiga lou mourre,Pour te presser l'orteil, te chatouiller la face,

Te pessuga lou nas, pèr courrete pincer le nez, pour courir

A l'oumbro de toun vèntre, osco degun la vau.à l'ombre de ton ventre, vraiment nul ne la vaut.

Lou marrit-péu pren pèr escaloLa coquine prend pour échelle

Uno pato e te mounto, ardido, sus lis alo,une patte et te monte, audacieuse, sur les ailes ;

E s'espasso, insoulènto, e vai d'amount, d'avau.elle s'y promène, insolente, et va d'en haut, d'en bas.


IIII


Aro, veici qu'es pas de crèire.Maintenant, voici qui n'est pas à croire.

Ancian tèms, nous dison li rèire,Autrefois, nous disent les anciens,

Un jour d'ivèr, la fam te prenguè. Lou front basun jour d'hiver, la faim te prit. Le front bas

E d'escoudoun anères vèire,et en cachette, tu allas voir,

Dins si grand magasin, la fournigo, eilabas.dans ses grands magasins, la fourmi, sous terre.


L'endrudido au soulèu secavo,L'enrichie au soleil séchait,

Avans de lis escoundre en cavo,avant de les cacher en cave,

Si blad qu'avié mousi l'eigagno de la niue.ses blés qu'avait moisis la rosée de la nuit.

Quand èron lest, lis ensacavo.Quand ils étaient prêts, elle les mettait en sac.

Tu survènes alor, emé de plour is iue.Tu surviens alors, avec des pleurs aux yeux.


Ié dises : "Fai bèn fre ; l'aurassoTu lui dis : "il fait bien froid ; la bise

D'un caire à l'autre me tirassod'un coin à l'autre me traîne

Avanido de fam. A toun riche moulounmourante de faim. A ton riche monceau

Leisso-me prene pèr ma biasso.laisse-moi prendre pour ma besace.

Te lou rendrai segur au bèu tèms di meloun.Je te le rendrai, bien sûr, au beau temps des melons.


"Presto-me'n pau de gran." Mai, bouto,"Prête-moi un peu de grain." Mais, va,

Se creses que l'autro t'escouto,si tu crois que l'autre t'écoute,

T'enganes. Di gros sa, rèn de rèn sara tiéu.tu te trompes. Des gros sacs, tu n'auras rien de rien.

"Vai-t'en plus liuen rascla de bouto ;"File plus loin, va racler des tonneaux ;

Crèbo de fam l'ivèr, tu que cantes l'estiéu."Crève de faim l'hiver, toi qui chantes l'été !"


Ansin charro la fablo anticoAinsi parle la fable antique

Pèr nous counseia la praticopour nous conseiller la pratique

Di sarro-piastro, urous de nousa li courdoundes grippe-sous, heureux de nouer les cordons

De si bourso. — Que la coulicode leur bourses. — Que la colique

Rousigue la tripaio en aquéli coudoun !ronge les entrailles à ces sots !


Me fai susa, lou fabulisto,Il m'indigne, le fabuliste,

Quand dis que l'ivèr vas en quistoquand il dit que l'hiver tu vas en quête

De mousco, verme, gran, tu que manges jamai.de mouches, vermisseaux, grains, toi qui ne manges jamais.

De blad ! Que n'en fariés, ma fisto ?Du blé ! Qu'en ferais-tu, ma foi ?

As ta font melicouso e demandes rèn mai.Tu as ta fontaine mielleuse, et tu ne demandes rien de plus.


Que t'enchau l'ivèr ! Ta famihoQue t'importe l'hiver ! Ta famille

A la sousto en terro soumiho,à l'abri sous terre sommeille,

E tu dormes la som que n'a ges de revèi ;et tu dors le somme qui n'a pas de réveil.

Toun cadabre toumbo en douliho.Ton cadavre tombe en loques.

Un jour, en tafurant, la fournigo lou vèi.Un jour, en furetant la fourmi le voit.


De ta maigro pèu dessecadoDe ta maigre peau desséchée

La marridasso fai becado ;la méchante fait curée ;

Te curo lou perus, te chapouto à moussèu,elle te vide la poitrine, elle te découpe en morceaux,

T'encafourno pèr car-salado,elle t'emmagasine pour salaison,

Requisto prouvesioun, l'ivèr, en tèms de nèu.provision de choix, l'hiver, en temps de neige.


IIIIII


Vaqui l'istóri veritablo,Voilà l'histoire véritable,

Bèn liuen dóu conte de la fablo,bien loin du dire de la fable.

Que n'en pensas, canèu de sort !Qu'en pensez-vous, sacrebleu !

— O ramassaire de dardeno,— O ramasseurs de liards,

Det croucu, boumbudo bedenodoigts crochus, bombées bedaines

Que gouvernas lou mounde emé lou cofre fort,qui gouvernez le monde avec le coffre-fort,


Fasès courre lou brut, canaio,Vous faites courir le bruit, canailles,

Que l'artisto jamai travaioque l'artiste jamais ne travaille

E dèu pati, lou bedigas.et qu'il doit pâtir, l'imbécile.

Teisas-vous dounc : quand di lambruscoTaisez-vous donc : quand des lambrusques

La Cigalo a cava la rusco,la Cigale a foré l'écorce,

Raubas soun béure, e pièi, morto, la rousigas.vous lui dérobez son boire, et puis, morte, vous la rongez.