Jean-Henri FABRE 

Oubreto prouvençalo dóu Felibre di Tavan


LA CISEMPOLA BISE


Queto fre, mis ami de Diéu !Quel froid, mes amis de Dieu !

Queto fre de loup ! La CisampoQuel froid de loup ! La bise

Ourlo, rounflo, siblo ; acampohurle, ronfle, siffle ; elle rassemble

Lis auriolo de l'estiéules centaurées de l'été

Dins lis estoublo e n'en tapisso,dans les chaumes, et les pourchassant,

En lis acoussejant, lou bàrri di sebisso.en fait tapis contre les barrières des haies.


De lóngui barbasso de gèuDe longues barbes de glace

A la font se soun pendoulado,à la fontaine se sont appendue,

Esculturo que la jaladosculptures que la gelée

A travaia de soun cisèu. a travaillées de son ciseau.

A gros frisoun, l'orro tignassoA gros frissons, la farouche tignasse

S'escampo dóu bournèu, s'espandis, s'escagasso.sort du goulot, s'épanche, s'étale à terre.


Par là, devant ma maison,

De fueio de platano mortodes feuilles mortes de platane

Qu'un revoulun de vènt aportoqu'un remous de l'air apporte

A quatre pas de moun lindau,à quatre pas de mon seuil,

Dóu tèms que lou mistrau gingoulo,tandis que le mistral hurle,

Viron en roudelet e fan la farandoulo.tournent en petits groupes et font la farandole.


Es la farandoulo di mort,C'est la farandole des morts,

La bourrèio tristo e doulènto.la bourrée triste et dolente.

La fre, de si labro pougnènto,Le froid, de ses lèvres cuisantes,

A tout maca, bèu, jouine e fort ;a tout meurtri, beau, jeune et fort ;

A tout maca sènso vergougno ;il a tout meurtri sans réserve ;

E la Cisampo ris de la fèro besougno.et la bise rit de l'oeuvre sauvage.


E siblo e rounflo de plesi.Elle siffle, elle ronfle de plaisir.

Ausès si brutàli bramadoEntendez ses brutales huées,

Que se gounflon pèr alenadoqui se gonflent par bouffées,

Pièi se desgounflon à lesi.puis se dégonflent à loisir.

Es lou mau que ris e que cantoC'est le mal qui rit et qui chante

D'augué 'scrapouchino lou bèn, la causo santo.d'avoir écrabouillé le bien, la chose sainte.


Perqué lou mau, pouisoun dóu bèn ?Pourquoi le mal, poison du bien ?

Un pau de joio, forço peno,Un peu de joie, beaucoup de peine,

E la pauro vido s'abeno.et la pauvre vie s'épuise.

Perqué la mescladisso ? RènPourquoi le mélange ? Rien

Sarié pas miés, folo naturo,ne serait-ce pas mieux, folle nature,

Que la flour au-jour-d'uei, deman la pourrituro ?que la fleur aujourd'hui, demain la pourriture ?


Emé rèn de ço que patis,Avec rien de ce qui souffre,

Lou chaple finau dis estellol'écrasement final des étoiles

Crebant dóu cèu la curbecello,crevant le couvercle des cieux,

Se lou mounde un jour s'espóutis,si le monde un jour s'effondre,

Fai pas toumba 'n plour, perlo unicone fait pas tomber une larme, perle unique

Que vau di souleias l'enormo mecanico.qui vaut des grands soleils l'énorme mécanique.


E tout dor de la som que n'aEt tout dort du sommeil qui n'a

Pantai ni revèi, som bouniasso,ni rêve ni réveil, sommeil bonasse,

Indiferènto, tranquilasso,indifférent, tranquille,

La som de ço qu'es jamai na.le sommeil de ce qui n'est jamais né.

Que n'en dises, tu, la Cisampo ?Qu'en dis-tu, toi, la bise ?

A quau dourmirié ansin, la dounariés, la crampo ?à qui dormirait de la sorte, la donnerais-tu, la crampe ?


Lou mèstre ventaras, em'uno voues de loup,Le maître vent glacé, avec une voix de loup,

Pèr lou trau de l'eiguié respond : Hi-hi ! hou-hou !par le trou de l'évier, répond : Hi-hi ! hou-hou !