Jean-Henri FABRE 

Oubreto prouvençalo dóu Felibre di Tavan


LA COUQUIHADOL'ALOUETTE HUPPÉE

Rouge de sero, Rouge le soir,

    Bèu tèms espèro.     De beau temps espoir.

Soulèu fali, la couquihado,Au coucher du soleil, l'alouette huppée,

Quand dins li-nivo a proun sibla,Quand elle a suffisamment sifflé dans les nuées,

D'eilamount descènd dins li blad ;Descend de là-haut dans les blés ;

Descènd plan-planet e quihadoElle descend doucement et perchée

Sus lou cresten di mouto ounte lou grihet dor,Sur la crête des mottes où le grillon dort,

Espincho dóu tremount lou darrié giscle d'or.Elle regarde du couchant le dernier jet d'or.


Aluco lou mouloun de braso,Elle contemple le monceau de braise,

L'erso de carboun atubaLa vague de charbons allumés

Que de nivoulas fan tubaQue de gros nuages font fumer

Eilalin, dóu tèms que s'abrasoLà-bas, tandis que s'embrase

La forjo ounte un gigant, lou martèu à la man,La forge où un géant, le marteau à la main,

En tres caudo alestis lou soulèu de deman.en trois chaudes prépare le soleil de demain.


Pin-pan ! Lou gigantas travaioPin-pan ! L'énorme géant travaille

Soun globe, e lou travaio dur.Son globe, et le travaille dur.

Pin-pan ! pin-pan ! Quand es madur,Pin-pan ! pin-pan ! Quand il est à point,

Que trelusis e que dardaio,Qu'il reluit et rayonne,

Arroundi, flame-nòu, reviéuda de bacèu,Arrondi, tout neuf, ravivé par les chocs,

D'un cop de pèd lou fai barrula dins lou cèu.D'un coup de pied il le fait rouler dans le ciel.


E la boulo de fiò cabusso Et la boule de feu plonge

Dins lou toumple dóu tenebrun...Dans le gouffre des ténèbres...

Tout es enmantela de brunTout est voilé de brun

Pèr la niue, bouniasso clusso,Pour la nuit, bonnasse couveuse,

Que souto lou duvet de la som, dóu pantai,Qui, sous le duvet du sommeil et du rêve,

Amago l'au eloun, lou grihet, l'ome e l'ai.Abrite l'oiselet, le grillon, l'homme et l'âne.


"Grand manescau que sus l'enclume "Grand maréchal qui sur l'enclume"

De ta boutigo en nivoulas,De ton atelier en nuages,

Emé toun martèu jamai las,Avec ton marteau jamais las,

D'aquest mounde adoubes lou lume,De ce monde prépares le luminaire,

— Se dis la couquihado, — o fabre mestrajant,Se dit l'alouette, oh ! maître forgeron,

Manques pas de blouca toun faudau flamejant !"Ne manque pas de boucler ton tablier flamboyant !"


"Manques pas d'empura dins l'aurao "Ne manque pas d'allumer dan le vent

Tout fiò, pèr fin que lou soulèu Ton feu, afin que le soleil

Reviéuda nous revèngue lèu, Ravivé nous revienne bientôt,

Aquéu bon souleais que dauro Ce bon gros soleil qui dore

Li nis e l'espigau ; manques pas, car sara Les nids et les épis ; ne manque pas, car ce sera

La fin de tout quand ta forjo s'amoussara."La fin de tout lorsque ta forge s'éteindra."


"A l'aubo ansin, plumo espóussado,"De la sorte, à l'aube, plumage secoué,

Dóu campèstre m'enauraraiDes champs je m'élèverai

Eilamount, e saludaraiLà-haut, et je saluerai

Toun obro, la boulo abrasado,Ton oeuvre, la boule embrasée,

Alestido de fres ; mi proumié repiéu-piéuPréparée de frais ; mes premiers repiéu-piéu

Saran pèr lou soulèu, sèmpre mort, sèmpre viéu."Seront pour le soleil, toujours mort, toujours vivant."


Au founs d'uno mato de bauco,Au fond d'une touffe d'herbages secs,

La couquihado alor s'envai,L'alouette alors se retire,

Lou cor esmougu, lou gavaiLe coeur ému, le jabot

Gounfle de grano de mihauco.Gonfle de graines de panic.

S'agrouvo, met lou bè souto l'alo, à la caud,Elle s'accroupit, met le bec sous l'aile, au chaud,

E pièi s'endor. A fe dins lou grand manescau.Et puis s'endort. Elle a foi dans le grand maréchal.