LI GRANOUIOLES GRENOUILLES
De vèspre, quand en plen la luno donoLe soir, quand la lune donne en plein
Dins la palun e si canèu,Dans le marais et ses roseaux,
Quand li sause fielon de nèu Quand les saules filent de la neige
Sus la tèsto di courbadono,Sur la tête des narcisses,
De-que barjas, granouio, au mes d'abriéu,Que bavardez-vous, grenouilles, au mois d'avril,
Lou pitre au fres sus lis erbo dóu riéu ?La poitrine au frais sur les herbages du ruisseau ?
O vèntre fla de figo pecouleto,Ô ventres flasques de figue ridée et pendante ;
O closco esquichado en cruvèuÔ crânes aplatis en coquille
Que n'a quàsi ges de cervèuQui n'a presque pas de cerveau
Pèr amelou ; o verdouleto,Pour amande ; ô verdelettes,
Mourre breca, de que barjas ansinMuseaux édentés, que coassez-vous de la sorte,
Aro que dor lou passeroun sausin ?Maintenant que dort le moineau des saules ?
"Bré-ké-ké-ké, respondon li granouio :"Bré-ké-ké-ké, répondent les grenouilles :
Ço que barjan dins li fangas,Ce que nous bavardons dans les marécages,
Demando-lou dounc, bedigas,Demande-le donc, benêt
A l'espino-bè que fourfouioÀ l'épinoche qui farfouille
Dins li creissoun. De nacre cravata,Dans les cresson. De nacre cravaté,
Lou mignot porto espaso à soun coustat."Le mignon porte épée à son côté."
"Te lou diran li vesin, li vesino :"Ils te le diront les voisins, les voisines :
La demisello di sourgènt ;La libellule des sources ;
Lou veiroun, escaia d'argèntLe vairon, écaillé d'argent
Emé taiolo cremesino ;Avec ceinture cramoisie ;
L'escaravai, perlo que nado en round,Le scarabée, perle qui nage en rond,
Viro, reviro, e cabusso, s'escound."Tourne, retourne, et plonge, se cache."
"Te lou dira la locho moustachudo."Elle te le dira la loche moustachue.
La pauro vestido de dóuLa pauvre, vêtue de deuil,
S'aviso vuei de metre au còu,S'avise aujourd'hui de se mettre au cou,
Souto sa barbeto pounchudo,Sous sa petite barbe pointue,
Tres, quatre tour de cadenato en jai.Trois, quatre tours de chaînette en jayet.
Es rèn, un fum, e pamens acò vai."Ce n'est rien, une fumée, et cependant cela va."
"Umble bébai, lou jai de la mesquino !"Humble parure, le jayet de la mesquine !
Vai vèire alor, dins li roumias,Va voir alors, dans les ronciers,
Lou lesert, quand lou bouniasLe lézard, quand la bonne bête
Au soulèu espandis l'esquino,Au soleil étale l'échine,
Assadoula de calour. Pèr bebèi,Ivre de chaleur. Pour parure,
Èu, l'ufanous, a mes mantèu de rèi."Lui, le magnifique, a mis manteau de roi."
"Ah ! mis ami de Diéu ! Queto esquinasso"Ah ! mes amis de Dieu ! Quelle échine
Emperletado ! Noun jamaiFaite de perles ! Non, jamais
Li fado n'an brouda de maiLes fées n'en ont brodé de plus
Espetaclouso ! Pèr tirassoMerveilleuse ! Pour traîne
D'aquéu mantèu reiau, vèn uno coDe ce manteau royal, vient une queue
Que fai froufrou e longo coume acò.Qui fait froufrou et longue comme ça."
"Es pas de crèire. Aro, se vos, escouto,"C'est incroyable. Maintenant, si tu veux, écoute,
Aqui, darrié lis aubrespinLà, derrière les aubépines
Que flourisson long dóu camin,Qui fleurissent au bord du chemin,
Lou brun vióulounaire di mouto.Le brun violoneux des mottes,
Mèstre grihet, rasclan l'alo, brusisMaître grillon, râclant l'aile, bruit
En un cri-cri que de pertout s'ausis."En un cri-cri qui de partout s'entend."
"S'ausis peréu lou voun-voun dis abiho,"On entend aussi le bourdonnement des abeilles,
Lou rounfle di tavan courousLe ronflement des brillants scarabées
E lou siblet di mouissau rous ;Et le sifflet des moustiques roux :
S'ausis bresiha l'auceliho.On entend gazouiller les oiseaux.
Lou sarraié, bagna pèr l'aubo en plour,La mésange, mouillée par l'aube en pleurs,
Limo soun ferre e vesito li flour."Lime son fer et visite les fleurs."
"N'avèn proun di ; que rèn de mai s'apounde."Nous avons assez dit ; rien de plus à ajouter.
Es la voto dóu mes d'abriéu,C'est la fête du mois d'avril,
La fèsto de tout ço que viéu ;la fête de tout ce qui vit ;
E nòvi di noço dóu mounde,Et fiancés de noces du monde,
Nous fasèn bèu, metèn bebèi, riban ;Nous nous faisons beaux ; nous mettons joyaux, rubans ;
Pièi, d'estrambord, cantan, barjan, siblan."Puis, d'enthousiasme, nous chantons, bavardons, sifflons."