Jean-Henri FABRE 

Oubreto prouvençalo dóu Felibre di Tavan


LOU GRAPAUDLE CRAPAUD


Oh ! filousofe di fangas,Oh ! philosophe des bourbiers,

Tu que tirasses ta bedenoToi qui traînes ta bedaine

De maton en mato de jouncas,De touffe en touffe de jonc,

E de la pato, au fres, t'alisques la coudeno ;Et de la patte, au frais, te lisses la couenne ;

Oh ! boudenfle e viscous grapaud ;Oh ! gonfle et visqueux crapaud,

Sian de lesi, jouncho finido :Nous sommes de loisir, le demi-journée finie ;

Entre ami, charren dounc un pau,Entre amis, causons donc un peu,

E digo-nous ço qu'as dins ta closco aplatido.Et dis-nous ce que tu as dans ton crâne aplati.


Ancian tèms, dison que Platoun,Autrefois, on dit que Platon,

Un capoulié de la paraulo,Un maître de la parole,

Em'un flasquet dóu bon cantoun,Avec un flacon du bon coin,

Sóupilavo de-fes, à la vesprado, à taulo,Prenait plaisir, parfois, le soir, à table,

A questiouna sis envita.À questionner ses invités.

La coupo en man à chasco pauso,La coupe en main à chaque pause,

La saberudo soucietaLa savante société

Disié lou Bèu, lou Bon, lou Verai di causo.Disait le Beau, le Bon et le Vrai des choses.


Faguen ansin. — De-ques lou Bèu ? Faisons ainsi. — Qu'est-ce que le Beau ?

— Pèr iéu, lou Bèu es la grapaudo.— Pour moi, le Beau, c'est la crapaude.

Rèn, souto la capo dóu cèu,Rien sous la calotte du ciel,

La vau, quand au printèms a pres sa jauno faudoNe la vaut, quand au printemps elle a pris son tablier jaune

E sa baveto blanco. Noun,Et sa bavette blanche. Non,

Rèn vau sa peitrino boufado,Rien ne vaut sa poitrine bouffie,

Si pato poupudo, que soun,Ses pattes charnues, qui sont,

Lou dirias, facho au tour pèr li man d'uno fado.On le dirait, faites au tour par les mains d'une fée.


Pèr la vèire un moumen, pauras !Pour la voir un instant, moi pauvre énamouré,

De-sero, au dardai dis estello,Le soir, à la clarté des étoiles,

Sorte plan-plan de moun clapasJe sors doucement de mon clapier

Et d'un ciéucle de braso atube mi parpelloEt d'un cercle de braise j'allume mes paupières.

Acò 's pas proun de la belaCe n'est pas assez de l'admirer

De liuen : moun pitre crentous auso,De loin, ma timide poitrine ose,

De sa voues rauco, rampelaDe sa voix rauque, convier

La superbo grapaudo au maset de ma lauso.La superbe crapaude à la cabane de ma pierre plate.


— Passen. lou Bon de-qu'es pèr tu ?— Passons. Le Bon, qu'est-il pour toi ?

— Pèr iéu, lou bon es la barboto.— Pour moi, le Bon c'est la blatte.

S'es grasso à lard, a la vertu,Grasse à lard, elle a la vertu,

Sénso m'assadoula, de me metre en riboto :Sans me griser, de me mettre en ribote :

Es melico pèr lou perus !C'est friandise pour l'estomac !

Acò douçamen vous gatihoCela doucement me chatouille

De-long ounte lou ruscle prusTout au long où la faim me démange,

E deliciousamen dins lou gavai s'esquiho.Et délicieusement glisse dans le jabot.


Es bon peréu lou grihet brunEst bon aussi le grillon noir

Que destousque foro sa baumo ;Que je rencontre hors de son terrier ;

Es bon, quand volo au calabrun,Est bon, quand il vole au crépuscule,

Lou tavan-merdassié, que sènt lou musc qu'embaumo.Le scarabée-stercoraire, qui sent le musc et embaume.

Despichous es pas moun defaut :Dédaigneux n'est pas mon défaut :

Me regale emé la racaioJe me régale avec la racaille

Des cloportes qui prennent sel

Au supètre susa pèr li vièii muraio.Au salpêtre sué par les vieilles murailles.


— Vai bèn. E pièi, qu'es lou Verai ?— Cela va bien. Et puis, qu'est-ce que la Vrai ?

Que n'en pènses dins ta cabosso ?Qu'en penses-tu dans ta cabosse ?

— N'en pènse rèn ; pamens dirai— Je n'en pense rien ; Cependant je dirai

Un mot aprés d'un vièi qu'avié roula sa bosso :Un mot appris d'un vieux qui avait roulé sa bosse :

De ço que nous regardo pas,De ce qui ne nous regarde pas,

Disié, nous roumpen pas la tèsto,Disait-il, ne nous cassons pas la tête,

Car nifla plus liuen que soun nasCar renifler plus loin que son nez

Es marrit i grapaud ; pichot, es uno pèsto.Est mauvais pour les crapauds ; petit, c'est une peste.


Niflariés plus liuen, tu, l'ami,Reniflerais-tu plus loin, toi, l'ami,

Mourre pelous, faço paloto ?Face poilue, visage pâle ?

Pèr bèn dina, pèr bèn dourmi,Pour bien dîner, pour bien dormir,

As lou Bèu, ta grapaudo, as lou Bon, ta barboto ;Tu as le Beau, ta crapaude, tu as le Bon, la blatte ;

E te fau mai ! Dins li fangas,Et il te faut davantage ! Dans les bourbiers,

Li tèsto-d'ase, ma famiho,Les têtards, ma famille,

Te tratarien de bedigasTe traiteraient de sot

E dirien : Qu'es aquéu qu'a tout e que rouviho ?Et diraient : Quel est celui-ci qui possède tout et qui murmure ?


Escouto, lou mourre pelous,Ecoute, la face poilue,

Brave grapaud : de ta sagessoBrave crapaud : de ta sagesse

De-fes, segur, sariéu jalousParfois, assurément, je serais jaloux

Quand la fougno me pren en de jour de tristesso.Quand le dépit me prend en des jours de tristesse.

As la santo simplecitaTu as la sainte simplicité

Dóu bestiàri que fai ripaio,De la bête qui fait ripaille,

Caligno e niso, esvedelaCourtise et nidifie, étendue

Dins lou fres de la bouvo o la caud de la paio.Dans le frais de la boue ou le chaud de la paille.


As lou nescige benesi,Tu as l'ignorance bénie,

L'indiferènci tranquilassoL'indifférence tranquille

De tout, foro de ti plesi ;De tout, en dehors de tes plaisirs ;

Te demandes jamai ço que tant nous alassoTu ne te demandes jamais ce qui tant nous fatique

E, pecaire ! tant nous gausisEt, misère de nous ! tant nous use

A rambaia. Souto ta lauso,À récolter. Sous ta dalle,

La verita jamai lusis.La vérité jamais ne luit.

Que t'enchau lou Verai e la resoun di causo ?Que t'importent le Vrai et la raison des choses ?


Aquéu soulèu n'es pas lou tiéu.Ce soleil-là n'est pas le tien.

Se de l'autre la calour raioSi de l'autre la chaleur se répand

Pèr tu, grapaud, coume pèr iéu,Pour toi, crapaud, comme pour moi,

Lou soulèu dóu Verai trelusis e dardaioLe soleil du Vrai resplendit et rayonne

Rèn que pèr l'ome. Lou tavanRien que pour l'homme. Le scarabée

E lou grihet soun ta pasturo ;Et le grillon sont ta pâture ;

De verita mai que de pan,De vérité plus que de pain,

A mens d'èstre grapaud, l'ome fai nourrituro.À moins d'être crapaud, l'homme fait nourriture.