MARIE. — Tante Aurore devrait bien nous dire la cause de ces terribles mouvements du sol.

AURORE. — Je vais essayer autant qu'il est en mon faible pouvoir. — Je vous apprendrai d'abord qu'il fait plus chaud à mesure qu'on descend plus bas dans les entrailles de la terre. Les excavations creusées de mains d'homme pour l'extraction de divers minerais nous donnent à ce sujet de précieux renseignements. Plus elles sont profondes, plus il y fait chaud. Pour une trentaine de mètres de profondeur, la chaleur s'accroît d'un degré.

CLAIRE. — Je ne sais pas trop ce que c'est qu'un degré.

AUGUSTINE. — Et moi, je ne le sais pas du tout.

AURORE. — Commençons par cela, sinon il serait impossible de nous entendre.

Aurore décrocha un thermomètre suspendu au mur de l'appartement, le mit sous les yeux de son auditoire et continua ainsi.

— Sur cette planchette de bois, vous voyez une tige de verre percée d'un canal très-fin et terminée en bas par un petit réservoir. Il y a dans le réservoir une liqueur rouge, qui monte ou descend dans le canal de la tige suivant qu'il fait plus chaud ou plus froid. Cela s'appelle un thermomètre. Dans l'eau qui se gèle, la liqueur rouge descend jusqu'en un point de la tige marqué zéro ; dans l'eau qui bout, elle monte jusqu'en un point marqué 100. La distance entre ces deux points est divisée en cent parties égales, appelées degrés. De pareilles divisions s'élèvent au-dessus du degré 100 ; d'autres descendent au dessous du degré 0. Chacun de ces degrés ou échelons indique un état de chaleur plus ou moins élevé, d'après sa position sur le thermomètre.

On appelle température d'un corps la mesure de sa chaleur au moyen du thermomètre. Ainsi l'on dit que la température de l'eau qui se gèle est zéro, que la température de l'eau bouillante est de 100 degrés. Appliquez la paume de la main sur le réservoir, vous verrez comme la liqueur rouge monte.

Claire fit ce que disait la tante, et petit à petit la liqueur du thermomètre monta jusqu'à la division 38, où elle s'arrêta.

CLAIRE. — La liqueur rouge ne monte plus !

AURORE. — Elle est arrivée au point le plus élevé que la chaleur de votre corps puisse lui faire atteindre. Votre température, la nôtre par conséquent, car d'une personne à l'autre la différence est petite, est de 38 degrés. C'est la température habituelle du corps humain.

CLAIRE. — Et pendant les grosses chaleurs de l'été, quel degré marque le thermomètre ?

AURORE. — En nos pays, les plus fortes chaleurs de l'été atteignent de 25 à 35 degrés.

CLAIRE. — Et dans les pays les plus chauds du monde ?

AURORE. — Dans les pays les plus chauds, au Sénégal par exemple, la température s'élève de 45 à 50 degrés.

Revenons maintenant à notre sujet. — Au fond des mines, vous disais-je, règne une température élevée qui se maintient la même pendant toute l'année. Hiver comme été, c'est toujours la même chaleur.

L'excavation la plus profonde que les mineurs aient jamais creusée se trouve en Bohême. Elle est aujourd'hui inaccessible ; des éboulements l'ont en partie comblée. A 1,151 mètres de profondeur, le thermomètre y indiquait une chaleur perpétuelle d'une quarantaine de degrés, presque la température des régions les plus chaudes du monde. Et cela, notez-le bien, en hiver comme en été. Quand la glace et la neige couvraient la montagneuse Bohême, il suffisait de descendre au fond de la mine pour passer des rigueurs de l'hiver aux ardeurs insupportables de l'été du Sénégal. On grelottait à l'entrée, on étouffait de chaleur au fond.

Les mêmes faits, sans une seule exception, se constatent partout. A mesure qu'on descend plus avant dans la terre, on trouve une plus forte température. Dans les mines profondes, la chaleur est telle, que l'ouvrier le plus inattentif en est frappé et se demande s'il n'est pas dans le voisinage de quelque immense brasier.

On appelle puits artésien un trou cylindrique qu'à l'aide de fortes barres de fer ajoutées bout à bout on pratique dans le sol jusqu'à la rencontre de quelque nappe d'eau souterraine, alimentée par les infiltrations des fleuves ou des lacs voisins. L'eau qui remonte des profondeurs du sol, à la suite d'un pareil forage, arrive à la surface avec la température de ces profondeurs, et peut ainsi nous renseigner sur la distribution de la chaleur dans les entrailles de la terre. L'un des plus remarquables de ces puits est celui de Grenelle, à Paris. Il descend à 547 mètres de profondeur, et l'eau qu'il fournit a constamment 28 degrés, température à peu près des journées les plus chaudes de l'été. Les eaux du puits artésien de Mondorf, sur la frontière de la France et du Luxembourg, remontent de plus bas, de 700 mètres. Leur température est de 35 degrés.

Les puits artésiens, dont le nombre est si considérable aujourd'hui, conduisent au même résultat que les mines : pour une trentaine de mètres de profondeur en plus, la chaleur s'accroît d'un degré.

MARIE. — Alors, en creusant des puits assez profonds, on finirait par trouver de l'eau bouillante ?

AURORE. — Certainement. La difficulté est d'atteindre la profondeur voulue. Pour trouver la température de l'eau bouillante, il faudrait creuser jusqu'à trois mille mètres environ, ce qui nous est impossible.

Toutefois, on connaît des sources naturelles, qui, au sortir du sol, possèdent une température élevée, atteignent même parfois le degré de l'ébullition. On les nomme sources thermales, ce qui veut dire sources chaudes. Il règne donc, à la profondeur d'où elles viennent, une chaleur capable de les rendre tièdes ou même de les faire bouillir. Les sources chaudes les plus remarquables de la France sont celles de Chaudes-Aigues et de Vic, dans le Cantal. Elles sont à peu près bouillantes. Il suffit de plonger un œuf dans les petits ruisseaux qu'elles forment pour le retirer cuit.

source : Jean-Henri Fabre, Aurore, 1874