Les mouvements de l'air ébranlent la superficie de la mer et l'agitent d'ondulations que l'on nomme flots, vagues, lames. Si le vent est inégal, il fait naître les flots, qui bondissent couronnés d'une crinière d'écume, se heurtent et se brisent l'un contre l'autre. S'il est fort et continu, il soulève les eaux en longues intumescences, en lames ou vagues, qui s'avancent du large par rangées parallèles, se succèdent avec une majestueuse uniformité, et viennent l'une après l'autre se précipiter sur le rivage.

Ces mouvements n'affectent que la superficie de la mer ; à une trentaine de mètres de profondeur, l'eau se maintient tranquille, même au milieu des plus fortes tempêtes. Dans nos contrées, la hauteur des plus grandes vagues n'atteint guère que de deux à trois mètres ; mais dans quelques parages des mers du sud, dans le voisinage du cap Horn et du cap de Bonne-Espérance, les ondes, par des temps exceptionnels, s'élèvent jusqu'à dix et douze mètres. Ce sont de véritables chaînes de collines mouvantes, espacées entre elles par de larges et profondes vallées. Fouettées par le vent, leurs crêtes jettent des nuages d'écume et s'enroulent en épouvantables volutes de force à briser les navires les plus grands.

La puissance des vagues est irrésistible. Là où le rivage coupé à pic se présente en plein aux assauts de la mer, le choc est si violent, que le sol tremble sous les pieds. Les digues les plus solides sont démolies et balayées ; des blocs énormes sont arrachés, entraînés dans les terres, parfois lancés verticalement par-dessus les jetées.

C'est à l'action continue des vagues que sont dues les falaises, c'est-à-dire les escarpements verticaux servant en quelques points de rivage à la mer. De pareils escarpements se montrent sur les côtes de la Manche, tant en France qu'en Angleterre. Sans relâche, l'océan les sape par la base, en fait ébouler des pans qu'il triture en galets, et progresse d'autant dans les terres. L'histoire a conservé le souvenir de phares, de tours, d'habitations, de villages même, qu'il a fallu abandonner à la suite de pareils éboulements, et qui aujourd'hui ont en entier disparu sous les eaux.

En d'autres points, la vague apporte à la terre ferme de nouveaux matériaux. Elle pousse sur les plages des masses de sable, dont les parties fines, chassées par le vent, donnent naissance à de longues collines appelées dunes. Les côtes océaniques de la France présentent des dunes dans le Pas-de-Calais, à partir de Boulogne ; en Bretagne, du côté de Nantes et des Sables-d'Olonne ; et dans les Landes, depuis Bordeaux jusqu'aux Pyrénées, sur une longueur de 240 kilomètres. Dans le seul département des Landes, les dunes occupent une superficie de 30,000 hectares.

Quel singulier spectacle que celui des dunes ! Du haut de l'une de ces collines, où l'on ne parvient qu'en enfonçant dans le sable jusqu'aux genoux, l'œil suit avec ravissement, jusqu'aux extrêmes limites de l'horizon jaunâtre, les mille ondulations du sol, la croupe arrondie et brillante des dunes ; le regard s'égare dans le chaos de buttes d'un blanc étincelant, dont la crête, balayée par le vent, se couvre d'un brouillard de sable et fume comme la vague fouettée par la tempête. C'est la monotone ondulation et l'infini d'une mer dont les flots se gonflent et se dégonflent au souffle du vent ; seulement, ici, les vagues sont de sable et immobiles. Rien ne trouble le silence de ces mornes solitudes, si ce n'est parfois le cri rauque d'un oiseau de mer qui passe, et, par intervalles réguliers, la grande clameur de l'océan, voilé par les derniers mamelons des dunes.

Malheur à l'imprudent qui s'engagerait dans ces régions sauvages un jour de tempête ! Ce sont alors des nuages de sable lancés avec une force irrésistible, des trombes furieuses qui démantèlent les dunes et en font tourbillonner la poudre dans les airs. Quand la bourrasque a cessé, la configuration du sol n'est plus la même : ce qui était colline est devenu vallée, ce qui était vallée est devenu colline.

A chaque tempête, les dunes progressent vers l'intérieur des terres. Le vent soufflant de la mer fait peu à peu ébouler une dune dans la vallée suivante, qui se comble et devient dune à son tour ; et ainsi de suite jusqu'à la plus avancée, qui s'éboule sur les terres cultivées. En même temps, la mer amoncelle de nouveaux matériaux sur le rivage pour constituer une nouvelle colline de sable, marchant à la file des autres. C'est de la sorte que les dunes envahissent lentement les terres cultivées et les recouvrent d'une énorme couche de sable stérile.

Rien ne peut arrêter leur marche. Si une forêt se présente sur leur trajet, la forêt est ensevelie, et les cimes des plus grands arbres dominent à peine, comme de maigres buissons, les terribles montagnes de sable. Des villages entiers sont engloutis : habitations, églises, tout disparaît sous le sable. Que faire devant un pareil ennemi, qui s'avance irrésistible, avec une régularité impitoyable, gagnant chaque année près de vingt mètres sur les terres cultivées ? L'industrie humaine a fini cependant par maîtriser le redoutable fléau, et cela d'une manière bien simple : on a rendu les dunes immobiles en les plantant de forêts de pins.

Les fluctuations des mers, dont la cause est le vent, sont accidentelles, irrégulières, comme le vent lui-même ; mais à ces mouvements viennent s'en adjoindre d'autres d'une grande régularité et se reproduisant par intervalles périodiques ce sont les marées. Sur toutes les côtes océaniques, à certaines heures, la mer abandonne son rivage, se retire et laisse à sec de grandes étendues, qu'elle occupait d'abord. C'est alors le reflux ou la marée descendante. Un peu plus tard, elle vient reprendre possession de l'étendue abandonnée. Ce retour des flots, c'est le flux ou la marée montante. Ces oscillations océaniques, tour à tour en avant et en arrière, se succèdent à six heures d'intervalle. Dans les vingt-quatre heures, il y a donc deux flux et deux reflux. Ces mouvements sont dus à l'attraction que la lune et le soleil, la première surtout, exercent sur les eaux de la mer. Le flux et le reflux ne s'observent pas dans la Méditerranée, d'étendue trop étroite.

Pour quelqu'un qui n'y est pas familiarisé, la marée est bien la chose la plus étrange. A un moment déterminé, sans aucune cause apparente, par le temps le plus calme comme par le temps le plus orageux, les flots cessent de battre le rivage : ils reculent en tumulte et se retirent au large, à plusieurs kilomètres de leur première limite. On peut alors parcourir le lit des eaux abandonné. Quelle fête de visiter, à la marée basse, ces fourrés d'herbages océaniques où toujours des poissons étourdis restent empêtrées pendant le recul des flots, et ces rochers d'où pendent des grappes de coquillages, et ces galets au milieu desquels s'embusquent les crabes, et ces flaques d'eau où frétillent des crevettes parmi les algues roses ! Mais il ne faudrait pas s'attarder au milieu de ces merveilles de la mer : le flot monte bien rapidement. Il s'avance grondant, blanchi d'écume, pour reprendre possession de ses domaines. Sur quelques plages, il dépasserait le cheval le plus rapide. Prairies marines, galets, rochers, tout disparaît graduellement sous les eaux ; et voici enfin la vague se heurtant de nouveau au front de la falaise. C'est la fin du reflux ; la mer est rentrée dans son lit.

source : Jean-Henri Fabre, Aurore, 1874