Très cher Monsieur.

Je crois vous avoir confié dans quelqu'une de mes lettres, les motifs qui m'ont fait abandonner le lycée d'Avignon et suspendre, à mon grand regret, pendant de longues années, mes chères études d'Histoire naturelle. Après vingt-cinq ans de services rendus, l'Université ne ma donnant pas de quoi vivre et me traitant au rabais avec son infranchissable chiffre de 1800 F., j'ai dû chercher ailleurs le pain quotidien de ma famille. Je me suis tourné vers l'instruction primaire qui forcément, malgré les intrigues insensées de nos jours, s'achemine vers une prochaine rénovation. J'ai écrit une trentaine de volumes, élémentaires pour le lecteur, alimentaires pour l'auteur. Le résultat, sans être pour moi bien rémunérateur, est du moins encourageant, car j'ai la conviction d'avoir fait oeuvre utile en cherchant à répandre dans la classe des humbles le pain fortifiant de la science. Quelques uns de ces modestes volumes vous sont certainement connus, puisque c'est grâce à votre concours que certains ont reçu d'honorables distinctions.

Ce que je m'étais proposé touche à sa fin et je brûle de revenir à mes chères bêtes, à mes baux insectes que je n'ai pas un instant oubliés. Je me propose de rentrer dans l'enseignement oral après avoir tant fait pour l'enseignement écrit ; je projette de reprendre le professorat, non celui des Lycées, auquel s'il plaît à Dieu, j'ai pour toujours renoncé ; mais celui des Facultés, plus conforme à mes goûts et qui me permettrait de poursuive, ave quelque loisir, des recherches dans lesquelles vous avez bien voulu m'encourager.

Ici, une grave difficulté m'embarrasse. A qui s'adresser et comment s'y prendre pour obtenir une chaire d'histoire naturelle, zoologie ou botanique, dans une Faculté ? J'ai toujours été le paria universitaire et je crains bien, si l'on ne me vient en aide, d'être éconduit. Et cependant, je peux hautement me rendre cette justice : Bien peu ont fait autant que moi pour l'enseignement populaire, depuis bientôt trente ans.

Je m'adresse à vous pour être un peu renseigné et tâter le terrain. Pareilles fonctions, je le sais, ne sont pas toujours vacantes, mais j'attendrai. L'essentiel serait d'y arriver un moment ou l'autre. Je suis, vous le savez, un vieil habitué du pays des cigales et de l'olivier ; c'est vous dire que mes préférences seraient pour Montpellier, s'il y avait possibilité d'obtenir une chaire en cette ville dans un avenir plus ou moins rapproché. Si c'était absolument impossible, je me déciderais pour ailleurs.

Je ne peux terminer sans vous remercier au nom de l'Inspecteur primaire que j'ai pris la liberté de vous recommander ce mois de juillet dernier, et dont le grand désir a été satisfait. Il a été envoyé à la Rochelle, ce qui était le comble de ses voeux. Vous y êtes pour beaucoup, pour tout sans doute, et je vous en remercie mille fois.

Votre tout dévoué et reconnaissant serviteur

J.-H. Fabre

Orange,
21 8bre 1873

source : © Académie des Sciences, Paris.