Mon cher ami,

Je vous remercie de votre article du Voltaire ; il est fort bien tourné comme tout ce qui sort de votre plume, malheureusement trop paresseuse.

Mes expérimentations ne paraissent pas vous avoir pleinement convaincu. L'énorme vessie du transformisme vous en impose encore. Si j'en ai le loisir, j'y donnerai encore quelques coups d'épingle pour la dégonfler un peu plus, jusqu'à ce qu'elle vous apparaisse dans toute son inanité. Comment vous, esprit gaulois s'il en fût, avide du grand jour, vous prenez au sérieux ces élucubrations ? Il faut laisser ces ténèbres malsaines au Teuton et au Saxon, trop bêtes pour voir au delà de la matière. Le mot est de George Sand ; venant d'une telle source, il aura plus d'autorité sur vous.

Votre aranéide, qui se maçonne un château fort de terre, m'intéresse beaucoup.

En dehors des Mygales, se creusant un manoir avec porte cochère, je ne connais rien de pareil. Pourriez-vous m'envoyer l'édifice avec son constructeur ?

J'écris à M. Delagrave pour qu'il fasse parvenir mes Souvenirs entomologiques à M. Naquet. Il ne m'en reste plus un exemplaire, sinon j'aurais moi-même fait l'envoi.

Je crains bien que la côtelette hospitalière qui m'attend chez vous n'ait le temps de se refroidir. La besogne me déborde.

Votre tout dévoué.

J.-H. Fabre

Sérignan
30 mars 1883.

P.S. Je relis votre lettre et je reprends la mienne pour répondre à un point sur lequel mes souvenirs me servaient mal.

Votre nid d'aranéide, d'après votre description, est étranger à l'habitant. C'est un vieux nid d'un hyménoptère, l'Eumène, dont vous trouverez tout au long les us et les talents dans mes nouveaux souvenirs. Le propriétaire réel ayant déménagé, l'araignée profite de l'édifice en forme d'alcaragas. J'ai rencontré une foule d'exemples de cette utilisation du nid abandonné.

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